Forum IGR
« La Grande Région face aux nouveaux défis »
7 novembre 2024 – Hôtel de ville Esch sur Alzette
Le replay du Forum est ici :
Une soixantaine de participants, originaires des cinq versants de la Grande Région ont suivi ce Forum, dont les 3 séquences réunissant au total 18 intervenants ont été animées par Guy Keckhut dans la très belle Salle du conseil de l’hôtel de ville d’Esch-sur Alzette.
Cet évènement était organisé par l’IGR avec le soutien de la ville d’Esch sur Alzette, du GECT Secrétariat du Sommet de la Grande Région, de la Chambre de Commerce Luxembourg et en collaboration avec le Luxembourg Institut of Socio-Economic Research (LISER).
Il s’agissait de faire le point sur les avancées en matière de coopération transfrontalière, tout en explorant des solutions concrètes pour renforcer cette « petite Europe » au cœur de la grande dans un contexte de montée des populismes d’extrême droite, des nationalismes et du repli sur soi.
L’un des objectifs principaux du forum était aussi de proposer des pistes pour améliorer la gouvernance, accroître la visibilité de la Grande Région et mobiliser davantage les citoyens autour de cet espace de coopération transfrontalière.
En ouverture, le Bourgmestre d’Esch, Christian Weis et le président de l’IGR, Roger Cayzelle, insistent sur la dimension « laboratoire » de la Grande Région pour répondre aux défis relevant en particulier de la mobilité, des soins et de l’aménagement, dans un environnement mondial et européen incertain.
Séquence 1 « La Grande Région d’hier à aujourd’hui »
Florence Jacquey évoque de manière synthétique la structuration progressive, depuis les années 1970, de l’espace de coopération qu’est la Grande Région, riche de la diversité de ses acteurs et de ses partenaires qui ont appris à se connaitre et à dialoguer de l’échelle des bassins de vie transfrontaliers à celle de la Grande Région. La structuration politique est véritablement effective depuis 2005, lorsque le Sommet des exécutifs est devenu une réelle instance stratégique qui a permis d’avancer sur de nombreux sujets (mobilité, enseignement supérieur, tourisme, stratégie d’aménagement, etc.).
Elle met en exergue trois défis qui lui paraissent essentiels à surmonter : la mobilité des personnes (partiellement remise en cause aujourd’hui), le vieillissement démographique et la nécessité de former une main d’œuvre qualifiée, la visibilité (et la communication) politique des responsables de la Grande Région.
Au cours de la table ronde qui suit avec Laurence Ball, Daniele Behr, Bruno Echterbille et André Parthenay, la réalité de la Grande Région est mise en évidence. Les citoyens, tant pour le travail, la vie sociale et le quotidien se sont affranchis des frontières.
Ce territoire de coopération, riche de sa diversité paysagère, patrimoniale et culturelle ainsi que de ses nombreuses associations est marqué par de fortes interdépendances mais aussi par des déséquilibres croissants.
Face aux risques de repli sur soi et de résurgence des frontières, il est urgent de répondre aux défis du vivre-ensemble et de la proximité (mobilités, santé, patrimoine, circuits courts) en impliquant davantage les associations et les citoyens.
Dans le même temps, il est essentiel de conforter l’identité politique de ce qui apparait à beaucoup de citoyens comme un « objet politique et administratif non identifié » et la question d’un nom pour la Grande Région, permettant une meilleure identification, est posée.
Séquence 2 « La Grande Région, des défis communs ! »
Jean Salque expose les analyses et les propositions de l’IGR, en mettant en avant une approche de la Grande Région qui n’est pas une entité isolée hors-sol mais un écosystème complexe dont les sous-ensembles (structurations territoriales/institutionnelles et bassins de vie) sont en interactions entre elles et lui-même en interaction avec d’autres écosystème à plusieurs échelles (l’Europe, les états dont dépendent les différents versants de la GR) pour faire face aux défis communs afin de répondre aux enjeux de la transition écologique, numérique, industrielle et énergétique.
Il énonce les enjeux qui peuvent être déclinés aux différentes échelles :
- La cohésion sociale et territoriale ainsi que l’équité et la solidarité territoriale ;
- L’articulation, la cohérence et la complémentarité entre les différentes échelles d’action (européenne, nationale, grand régionale, régionale, infrarégionale) ainsi que l’agencement et la coopération entre les acteurs / parties prenantes aux différentes échelles et entre échelles en particulier dans chaque versant et entre chaque versant de la Grande Région ;
- L’harmonisation, la cohérence, la continuité et la visibilité des cadres, de la stratégie et des actions dans la Grande Région ;
- La subsidiarité / déconcentration, simplification comme outils de mise en œuvre.
Franz Clément souligne que la Grande Région, où les relations bilatérales dominent encore largement, est un espace de coopération qui n’atteint pas le stade de l’intégration politique.
Il est possible de passer d’un espace de coopération à un espace d’intégration politique garante de davantage de cohésion sociale et territoriale et du maintien de l’attractivité du territoire par le biais d’un traité international à conclure entre les membres de la Grande Région qui permettrait de dépasser l’addition de relations très majoritairement bilatérales et au coup par coup ainsi que de mettre en œuvre un véritable multilatéralisme.
Cette intégration politique (traduite par de vrais pouvoirs exécutif et législatif qui coopèrent avec la société civile et qui bénéficient de moyens financiers au travers d’un fonds multilatéral et mutualisé de coopération) pourrait permettre, en s’appuyant sur une gouvernance permanente, de faciliter des décisions en commun pour répondre à des problématiques globales en Grande Région et d’édicter des règles applicables sur l’ensemble du territoire de la Grande Région. Les compétences qui relèveraient de cette gouvernance devraient être identifiées selon le principe de subsidiarité autour des domaines qui concernent la vie quotidienne des habitants de la Grande Région (mobilité, emploi, apprentissage des langues, santé, formation professionnelle, télétravail, etc…).
Il insiste enfin sur la nécessaire implication dans ce processus de structuration des multiples associations dont l’action lui semble dispersée mais aussi des citoyens.
Richard Stock après avoir évoqué le choc qu’a représenté pour lui, impliqué dans l’action européenne depuis plusieurs décennies, le résultat des dernières élections européennes, souligne la complexité de la Grande Région.
Il énonce trois priorités que la gouvernance de cette espace doit se fixer :
- Faire des frontières des liens et non des murs ;
- Organiser les flux ;
- Assurer les solidarités.
Face aux risques de retour en arrière, le travail avec la jeunesse lui parait essentiel. A cet égard, le projet Interreg VI A, dont le Département de la Moselle est chef de fil avec 16 partenaires, « Engagement’GR » à destination des 3-18 ans pour soutenir sur trois ans le bilinguisme dans la Grande Région, est emblématique
Etienne Stock, évoquant son action comme Sous-Préfet à Thionville, souligne que suite à la mise en place du GECT et de l’Etablissement Public d’aménagement « Alzette Belval » au début des années 2010, il a pu observer dans le nord lorrain la prise en compte de la dimension transfrontalière dans les projets portés par les élus locaux.
Il reconnait la fragilité de la représentation politique de la France au niveau gouvernemental dans les relations avec les autres Etats de la Grande Région (depuis 2007, pas moins de 15 Ministres ou Secrétaires d’Etat aux relations européennes se sont succédés).
Pour lui, trois priorités se dégagent :
- Les assouplissements fiscaux et juridiques ;
- La formation des jeunes (en particulier l’apprentissage sans frontières) ;
- La mobilisation des citoyens pour qu’ils deviennent davantage acteurs et moins consommateurs de la Grande Région.
Séquence 3 « La Grande Région, une ambition partagée ? »
La table ronde est l’occasion, pour les responsables de haut niveau qui y participent, de dégager les enseignements de leurs expériences et de formuler des préconisations :
- L’indispensable reconnaissance effective de l’interdépendance entre les territoires de la Grande Région (Georges Santer) ;
- La réaffirmation de la nécessité d’un projet commun : l’amélioration de la vie quotidienne des citoyens et de leur bien-être (Georges Santer) ;
- La nécessité d’une implication plus grande des responsables politiques nationaux / fédéraux en particulier en France (Martine Kirchhoff et Christian Eckert qui préconise la mise en place d’un délégué interministériel pour traiter les problématiques transfrontalières de manière transversale et la mise en œuvre d’une réelle déconcentration) et en Wallonie (François Kinard) ;
- Une plus grande reconnaissance par les Etats du local et des bassins de vie transfrontaliers, une plus grande confiance accordée à leurs élus et davantage de moyens pour les projets permettant d’améliorer la vie quotidienne des citoyens (François Kinard) ;
- Le développement de Sommets thématiques, de la concertation entre acteurs dans les différents versants et de consultations publiques dématérialisées (Martine Kirchhoff) ainsi que la mise en place d’agences pour décliner la mise en œuvre des décisions politiques dans les domaines des langues, du tourisme, de la formation etc. (Hanspeter Georgi)
- La mise en place d’un budget spécifique à la Grande Région pour soutenir les projets (Rudy Muller) ;
- Le renforcement de la mise en valeur du patrimoine paysager, historique, culturel (Georges Santer) ;
- Le renforcement de l’apprentissage de la langue du voisin (Hanspeter Georgi) ;
- Le développement des liens entre les multiples réseaux d’entreprise et des démarches de prospection communes avec les chefs d’entreprises (Hanspeter Georgi) ;
- L’indispensable renforcement de la coopération dans les domaines de l’emploi et de la formation (anticipation des nouveaux métiers, standards communs, reconnaissance des diplômes) afin de faire face à la pénurie croissante de main d’œuvre qualifiée (Rudy Muller, Hanspeter Georgi).
Le moment d’échanges avec la salle qui suit met en évidence :
- La nécessité d’avoir une approche systémique avant de déterminer des objectifs précis ;
- La mobilisation des citoyens à impulser pour défendre la Grande Région ;
- Un débat entre la priorité à donner à l’attribution (dans une démarche participative citoyenne) d’un nom spécifique à la Grande Région (enjeu de la « marque ») où à l’enjeu d’une démarche de marketing de la part de la Grande Région.
Perspectives
Patrick Bousch insiste sur la nécessité :
- De prendre en compte la complexité de la Grande Région et d’avoir une approche multiscalaire des problématiques ;
- D’accompagner les élus pour construire une vision d’ensemble ;
- D’être conscient des interdépendances et de construire des passerelles ;
- De développer la concertation des acteurs dans une logique « win win » ;
- Pour le Sommet des exécutifs de la Grande Région de faire du lobbying auprès de Bruxelles et des Etats :
- De favoriser l’acceptation des différences entre les versants constitutifs de la Grande Région ; c’est la base du vivre-ensemble et la condition pour trouver des solutions communes.
Roger Cayzelle rappelle que la Grande Région est fondée sur une histoire commune et que les acteurs et réseaux y sont nombreux.
Il souligne que les actions mises en œuvre sont multiples mais pas assez valorisées.
Il pose la question de l’incarnation et du leadership politique de la Grande Région et appelle à développer les rencontres entre les dirigeants (en particulier dans le format « coin du feu ») et à leur faire davantage connaitre les multiples actions et réalisations sur le terrain.
Il pense qu’avant de se poser la question du nom pour la Grande Région, il est urgent de repréciser ce qui nous unit et dans quelle direction nous voulons aller ensemble.
C’est la condition pour rebondir afin de pouvoir face aux crises existantes et à venir ainsi qu’ au populisme.
Pour aller plus loin
Les deux contributions de l’IGR
https://institut-gr.eu/2020/07/07/au-coeur-de-leurope-une-grande-region-a-conforter/
Les supports projeté pendant l’intervention de Jean Salque
Les réflexions de Franz Clément traité multilatéral entre Etats de la Grande Région
Crédits photos Daniel Codello, Dominique Dargier, Anne Mangeot, André Parthenay, Alain Pidolle, Ville d’Esch