Regard sur les relations entre les territoires dans l’aire métropolitaine de Luxembourg

Contribution adoptée par l’Assemblé générale du 3 mars 2020 à Sarrebruck

Actualisée en octobre 2022

Depuis le printemps 2020, la crise sanitaire liée au Covid a rappelé l’interdépendance entre les territoires de l’aire métropolitaine de Luxembourg et confirmé les faiblesses, les fragilités et les limites de son développement actuel porteuses de déséquilibres économiques, sociaux et environnementaux croissants.

Mais cette crise peut aussi être une opportunité pour envisager une stratégie de changement partagée entre ces territoires. Tel est l’objet de cette contribution.

Nous nous efforçons de réfléchir au niveau du périmètre de la Grande Région et de ses différentes échelles transfrontalières (grand régionale, infra-grand régionales, bassins de vie de proximité) en dépassant la limite administrative de ses différents versants et de leurs composantes et en nous adressant à tous les acteurs.

  1. Un territoire métropolitain transfrontalier au cœur de la Grande Région.

            Métropolisation : de quoi parle-t-on ?

Le métropolisation est un processus de concentration des populations, des activités et des fonctions de commandement dans les grandes villes. Il y a un lien entre métropolisation et mondialisation : le métropolisation est une traduction spatiale de la mondialisation.

En s’inscrivant dans les réseaux de l’économie mondiale, le métropolisation modifie l’ancrage local, régional ou national d’une ville. Le processus, tend à renforcer au niveau mondial es hiérarchies urbaines en faveur des grandes villes.  Le métropolisation amplifie un certain nombre d’enjeux d’aménagement liés à l’étalement urbain, aux mobilités croissantes et à l’augmentation de nuisances (pollution, engorgement). L’ensemble réinterroge aussi les modes de gouvernance urbaine.

            Une stratégie métropolitaine pour la Grande Région

La Grande région n’échappe pas à ce phénomène et cherche à l’organiser.  Dès 2008, le Sommet des Exécutifs – l’instance de coopération politique et institutionnelle de la Grande Région- a impulsé la stratégie Metroborder.  L’objectif sur le long terme est la « mise en place progressive d’une métropole polycentrique, transfrontalière, capable de se mesurer avec les grandes métropoles nationales » À cet objectif est accolé un objectif à court terme : « dégager […] une démarche cohérente et intégrative en matière de développement territorial et de planification territoriale tant de l’espace urbain que de l’espace rural ».

Sous les présidences successives depuis 2008, le Sommet des Exécutifs de la Grande Région s’est accordé sur la définition d’une stratégie commune de développement équilibré au bénéfice de tous les territoires et sur la base de leurs complémentarités fonctionnelles. Depuis 2013, il impulse l’élaboration d’un Schéma de Développement Territorial commun à l’échelle de la Grande Région (SDT-GR), avec deux objectifs :

  • Renforcer la cohérence et la dimension intégrative du développement du territoire ;
  • Constituer le cadre général des actions à mener au niveau grand-régional, à différentes échelles temporelles et territoriales.

En 2016, un groupement, mandaté par l’Agape, a procédé à une analyse transversale de documents stratégiques existants en Grande Région, afin d’en tirer un bilan et des préconisations susceptibles de nourrir la méthode d’élaboration du SDT-GR.  Lancé le 1er janvier 2018 pour une durée de quatre ans, le projet Interreg SDT GR, porté par 25 partenaires issus de l’ensemble des versants de la Grande Région en est à la fin de sa deuxième phase :

  • La première phase a consisté, dans une démarche participative, en la constitution d’un socle de connaissances partagé et d’un langage commun. Il s’est agi d’établir sur base d’indicateurs socio-économiques et territoriaux des diagnostics permettant la spatialisation des problématiques, et d’aboutir à une série cartographique de présentations des risques et opportunités.
  • Au cours de la 2ème phase, sur la base de ces résultats, la stratégie de développement territorial a été élaborée. Les ministres et responsables politiques en charge de l’aménagement du territoire de la Grande Région se sont réunis le jeudi 16 janvier 2020 à l’occasion de la 6e réunion ministérielle sectorielle de l’Aménagement du territoire de la Grande Région et ont validé le document « En route vers une vision stratégique opérationnelle transfrontalière pour la Grande Région ». 

Le Schéma de Développement Territorial de la Grande Région affiche cinq objectifs :

  • Une Grande Région plus compétitive et innovante, par ses savoirs et ses complémentarités.
  • Une qualité de vie et un bien-être à la hauteur des transitions (climatiques, écologiques, énergétiques, démographiques, socio-économiques, digitales, alimentaires), visant une véritable cohésion sociale et territoriale.
  • Un marché du travail transfrontalier et partagé, fondé sur des filières communes de formation.
  • Un développement métropolitain polycentrique basé sur une mobilité et une connectivité bas-carbone.
  • Un cadre d’orientation et de coordination à long terme qui s’inscrive dans une logique multi-niveaux.

           

            La 3e phase en cours consiste :

  • à formaliser une stratégie opérationnelle : elle était l’objet de la 7e réunion ministérielle sectorielle de l’Aménagement du Territoire de la Grande Région   du 12 janvier 2021 qui a adopté une résolution  et le document « Une stratégie opérationnelle transfrontalière pour la Grande Région en réponse aux enjeux des transitions », avant approbation par le Sommet des Exécutifs du 20 janvier 2021.

Chacun des axes stratégiques composant le Schéma de Développement territorial de la Grande Région se décline, aux trois échelles de coopération (Grande Région dans son ensemble, espace métropolitain autour de Luxembourg, territoires transfrontaliers de proximité)  en actions et idées de projets  structurés autour de 4 axes :

  • Anticiper, accompagner, orienter les transitions pour pouvoir agir sur la gestion des ressources ;
  • Améliorer les services et favoriser l’implantation équilibrée des activités au bénéfice des
  • populations ;
  • Développer des territoires ruraux et urbains décarbonés et résilients ;
  • Faire évoluer ensemble les projets et les structures du territoire en impliquant davantage les citoyennes et citoyens.
  • à identifier des projets et des actions susceptibles de contribuer à la réalisation des objectifs retenus. D’ores et déjà, suite à un appel lancé le 8 avril 2020, 35 idées collectées ont été reprises dans le document stratégique opérationnel.

         

  1. L’aire métropolitaine de Luxembourg : quelles intégrations ?

La Grande région institutionnelle dispose donc d’un outil prospectif important dans le domaine de l’aménagement se son territoire. Mais qu’en est-il plus précisément lorsqu’on réalise un focus sur la métropole transfrontalière en développement depuis plusieurs années autour de la vile de Luxembourg ?  Quelle est la nature de ce développement transfrontalier ?

Répondre à cette question suppose que l’on distingue deux types d’intégration :

  • L’Intégration fonctionnelle qui se rapporte à la forme et à l’intensité des interactions socio-économiques observées de part et d’autre d’une frontière.

Frédéric Durand chercheur au LISER a identifié trois types d’intégration fonctionnelle :

  • L’intégration par polarisation qui se traduit par l’émergence d’un centre à forte attractivité globale ;
  • L’intégration par spécialisation qui se caractérise par des flux multidirectionnels de part et d’autre de la frontière en raison des différences juridiques, des prix et de la disponibilité du foncier ;
  • L’intégration par osmose : les flux frontaliers et l’attractivité sont partagés entre le centre métropolitain et les territoires voisins.
  • L’intégration institutionnelle qui concerne la forme et l’intensité des interactions entre les acteurs politiques éventuellement disposés à collaborer.

Comment l’aire métropolitaine de Luxembourg peut-elle être caractérisée par rapport à ces deux dimensions ?

Premier constat : l’aire métropolitaine de Luxembourg (elle-même polycentrique Trèves Thionville Metz  Arlon) relève d’une intégration transfrontalière par polarisation qui se traduit par une dynamique transfrontalière dominante « d’aspiration »

Pour le Nord-Lorraine, l’Est de la Province du Luxembourg, l’Ouest de la Rhénanie Palatinat et de la Sarre, la proximité immédiate avec le Luxembourg génère une attraction très forte et donc des taux de frontaliers élevés.  Ces territoires font désormais partie de l’aire urbaine fonctionnelle de Luxembourg qui regroupe, selon le périmètre choisi,  entre 1,3 et 2,4 M h.

            Mais la métropolisation de Luxembourg est telle (développement de l’immobilier de bureau, projet de nouvel hôpital, plateforme logistique de Bettembourg, commerce, Université etc..) qu’elle limite fortement le développement économique de ces territoires (mise à part l’économie présentielle) et les place en situation délicate : alors qu’ils connaissent un dynamisme démographique indéniable (croissance de la population et des actifs), leur emploi est en baisse.

Il est par ailleurs significatif de constater que l’arrondissement d’Arlon connaît exactement la même dynamique que le Nord-Lorraine : de tous les territoires des pays voisins, il est le seul à connaître un recul de l’emploi.  Et à Trèves, dont la population augmente, il y a un important déficit de main d’œuvre.

A noter que l’ouest de la Sarre (Merzig) et de la Rhénanie Palatinat (Trèves) ainsi que la zone d’emploi de Metz sont plutôt dans une dynamique de compétition avec une dynamique de croissance emploi population pour les territoires frontaliers allemands mais une baisse démographique et de l’emploi pour Metz.

 

 

Deuxième constat : l’aire métropolitaine de Luxembourg est caractérisée par de multiples interdépendances réciproques. Elles sont porteuses d’opportunités, mais aussi de déséquilibres, de discontinuités de dissymétries. Elles peuvent être porteuses de vulnérabilités et de risques tant pour le territoire sur le Grand-duché que  pour les autres versants.

Source : le codéveloppement dans l’aire métropolitaine transfrontalière du Luxembourg. Vers un modèle plus soutenable ?  Document de travail N° 13  IDEA Novembre 2019 – Vincent Hein

Ces déséquilibres sont analysés par plusieurs institutions de recherche en particulier, l’Insee, le Statec, l’Agape  et la Fondation Idea (Vincent Hein).  C’est aussi l’objet de réflexions du Comité Economique et social du Luxembourg (cf. son avis de juin 2022 « Pour un développement cohérent de la métropole transfrontalière du Luxembourg dans la Grande Région »).

Tous insistent particulièrement sur le différentiel de ressources et de dynamiques de l’économie et de l’emploi au détriment des territoires périphériques et en faveur du centre luxembourgeois de la métropole (hormis la Province belge du Luxembourg)

La contribution annuelle des frontaliers (sur la base de 47% des actifs) aux finances publiques luxembourgeoises peut être estimée à 1,56 Md€ au budget de l’Etat (impôt sur le revenu,  pensions et sociétés,  taxes et accises sur les produits pétroliers, tabac, balance des cotisations sociales. En 2019, cette contribution représentait 8% du budget total de l’Etat luxembourgeois (19,6 Mds€) ;

D’un point de vue budgétaire et plus global, le territoire frontalier nord lorrain se retrouve dans une situation difficile : les budgets des communes du territoire Longwy-Villerupt sont majoritairement plus faibles que les communes de même taille ailleurs dans la région Grand-Est, alors que l’effort fiscal pour accueillir les nouveaux habitants est globalement plus fort ! De plus trop peu d’entreprises s’installent sur le versant français, ce qui génère un manque à gagner en termes de dynamisme et de taxes locales (cf. étude Climaxion sur la situation fiscale des communes du Grand-Est).

            Le manque à gagner fiscal local (ancienne taxe professionnelle) pour les entités politiques de Lorraine-Nord, du fait du défaut d’entreprise dans les zones frontalières, est estimé à 55,8 M€ pour la seule année 2018.

            Des charges de résidence ne sont pas compensées (situation côté français)

  • La formation initiale des frontaliers : le coût de la formation initiale des frontaliers est estimé à 3 153 € par frontalier et par an, soit un coût théorique de 324 M€ pour 2019 ;
  • L’indemnisation du chômage des frontaliers : alors que les frontaliers cotisent intégralement au Luxembourg, le Luxembourg ne prend en charge que les 3 premiers mois. En 2019, le reste à charge pour l’Unedic est estimé à près de 108 M€ ;
  • La prise en charge de la dépendance : les frontaliers français financent le système de dépendance luxembourgeois mais il est peu probable qu’ils y passeront leur retraite. L’heure de la dépendance venue, ils seront pris en charge par le système français, qu’ils n’auront pas contribué à financer.

De plus, contrairement à une idée répandue, le dynamisme économique du Luxembourg ne fait pas baisser le chômage dans le Nord lorrain et le risque de fragilisation croissante de la cohésion sociale (fracture entre frontaliers et non-frontaliers) est réel.

Evolution du nombre de demandeurs d’emploi ABC en France Région Grand Est et Territoire Agape  base 100 en 2007
Source : Agape Zoom « Crise sanitaire baisse du chômage en trompe l’œil » décembre 2020
(1) STATEC Regards N° 21 décembre 2020 «L’impact des frontaliers dans la balance des paiements 2019 » (2) Agape «Exploratoire» #3 de novembre 2020 « Le transfrontalier et la crise sanitaire du Covid-19 »

Si dans la Province du Luxembourg, le taux de demandeurs d’emploi (8,1 %) est inférieur à la moyenne de Wallonie (12,2), il est plus élevé dans plusieurs communes frontalières : Virton, Aubange, Rouvroy, Musson, Arlon, Martelange, Bastogne, Houffalize, Vielsalm

Dans les territoires frontaliers de Sarre et Rhénanie Palatinat le taux de demandeurs d’emplois reste peu élevé en raison de la diminution de la population active liée au vieillissement de la population dans ces deux Länder,mais aussi de critères de définition du chômage des jeunes différents en Allemagne.

 

                           

Par ailleurs, comme le note l’Agape dans sa publication Zoom de mars 2020  » Territoire de l’Agape : + 6300 habitants en 10 ans (2007-2017)  » Le territoire de l’AGAPE confirme son dynamisme démographique, observé depuis les années 2000, essentiellement dû au développement luxembourgeois. Mais si les territoires directement frontaliers du Grand-Duché bénéficient en premier lieu de ce dynamisme, les territoires plus éloignés affichent au contraire un décrochage ».

Un autre point de vue est aussi souvent exprimé. Il insiste sur l’apport considérable du Grand-Duché dans le domaine économique : en 2019, les frontaliers ont touché 10,559 Mds € en 2019 (salaires et traitements brut soit environ 8,8 Mds € en net) – Source STATEC.

Toutes ces données ont toutefois évolué en 2020. En raison du ralentissement économique lié à la pandémie le nombre de frontaliers a baissé pour la première fois, et au premier semestre 2020 la balance globale des paiements a fortement reculé, notamment en raison de la forte augmentation des versements sociaux aux frontaliers touchés par le chômage partiel et le congé extraordinaire pour raisons familiales.

Yves Wendling, Consul du Grand Duché de Luxembourg pour le Grand Est (hors Alsace), estime dès lors « qu’affirmer que les transfrontaliers ne payent par leurs impôts en France et bénéficient du service public du pays est en réalité injuste. Le seul impôt dont ils ne s’acquittent pas dans l’Hexagone est celui sur le revenu, qui représente environ 20 % du total.

Une fois cela posé, il faut considérer que les salaires des transfrontaliers sont, en moyenne, supérieurs à ceux des travailleurs français. Pour rappel, le salaire minimum au Luxembourg culmine à 2 600 euros brut/mois et une famille avec trois enfants reçoit près de 1 000 euros d’allocations par mois, bien plus qu’en France. En adéquation avec leurs salaires, les transfrontaliers consomment plus et payent donc plus de TVA. Ils s’acquittent aussi, comme tous les résidents français,  de taxes foncières et d’habitation plus importantes puisque leurs logements sont souvent plus grands et onéreux..

D’autant que, du coup, c’est aussi la Sécurité sociale luxembourgeoise qui paye pour les frais de santé des salariés. Le débat sur la fiscalité est un faux débat. On a voulu faire de l’Europe le lieu où l’on paye les impôts là où l’on travaille.

C’est d’ailleurs un principe de la constitution et c’est pour ça que l’on bataille avec les Gafam qui sont présents dans le monde entier sans verser d’impôts ailleurs qu’aux États-Unis. J’ai parfois l’impression que l’on cherche à opposer le Luxembourg et la France, ce qui n’a aucun sens. Les entreprises du territoire ont souvent des filiales au Luxembourg et de grands groupes de l’autre côté de la frontière viennent chez nous, à l’image de Costantini, la Provençale, Grossbuch pour les fruits et légumes et bien sûr la pâtisserie Namur. Les exemples sont très nombreux. Il n’y a plus non plus de frontière physique et les Luxembourgeois viennent consommer à Metz le week-end, comme les Mosellans font le chemin inverse. Les échanges sont permanents et tout le monde a de quoi y gagner. » la Semaine 09 12 2020

Troisième constat : la crise sanitaire a été révélatrice de la forte interdépendance des territoires et des limites du modèle actuel de développement

Dans son numéro «Exploratoire» #3 de novembre 2020, l’Agence d’urbanisme et de développement durable Lorraine Nord (Agape) a tiré les premières leçons du Covid-19 sur la Grande Région.

Même si des contrôles aux frontières ont été lors du premier confinement, les frontaliers ont toujours pu les traverser, en dérogeant aux limites fiscales (seuils des 19, 24 et 29 jours) et sociales (seuil des 25% du temps de travail) du télétravail par des accords bilatéraux suite à des relations diplomatiques intenses à l’initiative du Grand-Duché qui se serait sinon trouvé en situation de forte vulnérabilité.

            « La structure de l’emploi luxembourgeois montre une forte dépendance aux frontaliers: en 2019, hormis l’administration publique et les activités des ménages employeurs, les principales branches d’activité au Luxembourg affichent un taux de frontaliers supérieur à 30%.

            Parmi elles, cinq branches d’activité (25% des emplois) sont complètement dépendantes de l’emploi frontalier, qui représente 50 à70% des effectifs : l’industrie manufacturière, le commerce, les services administratifs et de soutien, la construction, et les activités spécialisées, scientifiques et technique».

             « Les autres branches d’activité, qui comptent 30 à 50% d’emplois frontaliers,  peuvent être dépendantes sur certains secteurs d’activité: c’est notamment le cas de l’entreposage, la programmation informatique, la collecte et le traitement des déchets (60 à 70% de frontaliers), mais aussi l’assurance, l’édition ou les services financiers (50 à 60% de frontaliers). »

             Dans le secteur de la santé, on compterait 36% de frontaliers, un taux qui dépasserait les 50% pour les aides-soignants ou les infirmiers en en milieu hospitalier (près de 66 %). ». 

                  L’Agape s’interroge aussi sur l’avenir du télétravail : « près de 144 000 déplacements quotidiens ont été évités à l’échelle du Nord-lorrain pendant le confinement, majoritairement du fait des frontaliers à la maison, soit 10% de l’ensemble des déplacements économisés. Il faut cependant rappeler que seulement 52 % des emplois peuvent prétendre au télétravail.

            Cela mérite réflexion.

            Car le pérenniser sous cette forme mettrait encore plus en concurrence les entreprises lorraines et luxembourgeoises, et tant les employeurs que les salariés pointent les limites d’une quotité de  télétravail trop importante qui poserait aussi des problèmes à plusieurs secteurs économiques au Grand-Duché (en particulier hôtellerie-restauration-café), sans parler d’une nécessaire discussion sur la question des seuils fiscaux et sociaux (qui ont été dépassés sans aucun bénéfice jusqu’alors pour les états frontaliers du Grand-Duché).

            Et ne pas lui donner un nouvel élan remettrait en cause les bons chiffres quant à la protection du climat : “les mesures montrent une baisse de la concentration en dioxyde d’azote (NO2) de 54% aux abords de l’A31 entre Metz et Thionville et de plus de 30% au Luxembourg”.

            Quatrième constat : une intégration transfrontalière institutionnelle complexe et éclatée

La multiplicité des acteurs (en particulier sur le versant lorrain), de leurs visions de la coopération (compensation fiscale / cofinancement de projets/codéveloppement), hétérogénéité des prises de position des ministres du Grand Duché sur les relations avec les versants voisins, faible visibilité de la stratégie de coopération transfrontalière du côté de la Wallonie)  ainsi que la multiplicité des approches de l’aménagement du territoire et  des formes de coopération locale et transfrontalière aux différentes échelles rendent  une gouvernance efficiente difficile.

La constellation des acteurs politiques de la coopération internationale et transfrontalière du côté français

  1. Trois approches du rééquilibrage

 

Quelle que soit la perception des uns et des autres sur la nature des phénomènes d’intégration qui viennent d’être décrits, rares sont ceux qui contestent la nécessité d’un rééquilibrage en matière développement.

Trois approches de ce rééquilibrage sont identifiables.

 

 

La rétrocession fiscale aux collectivités

 

            Elle existe entre le Grand-Duché et la Belgique pour les 40 communes comprenant plus de 3% de travailleurs frontaliers, de la  province wallonne du Luxembourg  par un accord de 2002 dans le cadre de l’Union Economique Belgo Luxembourgeoise.

Cet accord vise à compenser les pertes de recettes pour la Belgique, causées par des taux et accises plus bas au Grand-Duché. Autrement dit, à réajuster le manque à gagner engendré par les frontaliers belges qui se fournissent en tabac, carburant et alcool au Luxembourg, attirés par les prix plus attractifs.

Pour 2019 le montant total de cette rétrocession s’élève à 91 millions € (pour 48 000 frontaliers wallons).

Sur le versant lorrain et en Rhénanie-Palatinat, des élus demandent que ce principe de compensation soit aussi mis en œuvre au nom de l’équité afin de permettre aux collectivités de financer des infrastructures et des services dont bénéficient les frontaliers qui y résident.

 

 

            Le cofinancement de projets

 

Il a été acté lors du Séminaire Intergouvernemental Franco- Luxembourgeois du 20 mars 2018 dans un protocole relatif au renforcement de  la coopération en matière de transport transfrontalier.

Globalement, les aménagements sur le territoire français identifiés (dans le domaine des infrastructure ferroviaires et routières) font l’objet d’une contribution du Grand-Duché de Luxembourg jusqu’à concurrence d’un montant maximal de 120.000.000 d’euros, dont 110.000.000 euros pour le domaine ferroviaire et 10.000.000 d’euros pour la promotion d’une politique de mobilité durable, dans la perspective d’une contribution totale de la partie luxembourgeoise équivalente à 50% des coûts d’investissements en France.

Certains autres projets en cours/ prévus s’inscrivent ou pourraient s’inscrire dans cette logique :

  • Formation de demandeurs d’emploi (ADEM et Pôle emploi),
  • École d’infirmière au Grand Duché en partenariat avec la France,
  • Collège franco-luxembourgeois sur le site de Micheville,
  • Liaison tram Esch Micheville.

Le codéveloppement

Cette démarche a été initiée du côté français quelques semaines après la Séminaire Intergouvernemental Franco- Luxembourgeois le 20 mars 2018.

Le Ministre français de la Cohésion des territoires d’alors  a demandé au Préfet d’associer le Président de Région à une mission de construction avec les autorités luxembourgeoises d’une stratégie de codéveloppement fondée sur une démarche d’aménagement du territoire conjointe (domaines prioritaires ciblés : la mobilité et la localisation de l’activité économique).

Plusieurs réunions ont eu lieu entre acteurs du côté français et le gouvernement du Grand-Duché a amorcé une réflexion.

Mais la démarche ne semble pas avoir été poursuivie en raison du changement de Ministre du côté français puis de la crise sanitaire.

A signaler cependant la démarche impulsée par le GECT Alzette Belval dont la stratégie vise à promouvoir l’émergence et la reconnaissance d’une agglomération transfrontalière.

Cette stratégie repose dans la construction d’un avenir transfrontalier commun, pour tous les habitants du territoire, et se décline notamment dans l’élaboration d’un schéma de développement transfrontalier :

  • C’est ainsi que l’ensemble des partenaires se sont engagés dans une nouvelle démarche partenariale, la préfiguration d’une Internationale Bauausstellung (IBA) pour ce territoire de coopération.
  • Tout en étant le chef de file du projet, le GECT agit avec le soutien financier du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire et de la Région Grand Est pour la France et, du côté luxembourgeois, du Ministère de l’Énergie et de l’Aménagement du Territoire et du Ministère du Logement.
  1. Agir pour un modèle de développement plus solidaire et plus durable.

             A partir de ces constats et de ces prises de positions, il s’agit désormais d’agir pour réduire les disparités et les déséquilibres et pour mettre en en œuvre un nouveau modèle de développement résilient, moins spatialement différencié et plus solidaire. L’objectif est ambitieux : Il s’agit d’engager une transition sociale, économique et écologique partagée.

            Dès lors il faut faire face à deux grands enjeux :

  • L’articulation, la cohérence et la complémentarité entre les différentes échelles d’action(européenne, nationale, grand régionale, régionale, infrarégionale) en référence au cadre du Schéma de Développement Territorial de la Grande Région ;
  • L’agencement et la coopération entre acteurs, dans chaque versant et entre chaque versant de la Grande Région.  

            Nous proposons quelques orientations prioritaires à des échelles et dans des temporalités différentes.

            A l’échelle de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques)

  • Faire évoluer les articles 15 (prélèvement de l’impôt par le pays de travail) et faire appliquer l’article 18 (imposition des pensions par le pays de résidence) du modèle de convention fiscale.

            A l’échelle européenne

  • Réduction des différentiels sociaux et fiscaux.
  • Répartition plus équitable des recettes fiscales qui découlent du travail frontalier en zones frontalières.
Le rapport Lambertz, préconisant une approche commune à l’échelle européenne, a été adopté par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe le 29 octobre 2019.
  • Meilleure prise en compte des régions frontalières dans les dispositifs politiques et législatifs de l’Union Européenne
« L’Alliance européenne pour les citoyens transfrontaliers » initiée récemment, avec le soutien politique du Comité européen des Régions, réclame, entre autres, que les négociations concernant le projet de règlement relatif à un mécanisme transfrontalier européen (ECBM) visant à lever les obstacles juridiques et administratifs dans un contexte transfrontalier aboutissent.

 Il ya cependant un risque de provoquer des effets d’aubaine qu’il faudra contenir. Elle réclame aussi  que les régions frontalières et leurs groupements transfrontaliers soient associés à la conférence sur l’avenir de l’Europe.

  Aux échelles nationales

  • Prendre davantage en compte les problématiques transfrontalières et conforter la déconcentration de la diplomatie de proximité.
En France la récente loi « 3DS » (Différenciation, Décentralisation, Déconcentration, Simplification) intègre, comme espaces d’expérimentation en première ligne, les territoires frontaliers.

Cela a fait l’objet d’une démarche participative engagée par la Mission Opérationnelle Transfrontalière.

  • Assurer un interface entre les territoires frontaliers et les administrations centrales / fédérales favorisant une approche interministérielle transversale.

 Assurer une meilleure transposition de la stratégie transfrontalière de la Grande Région (SDT GR) dans les documents de planification nationaux.

 Harmoniser entre Etats concernés le plafond des jours de télétravail (des avancées à 34 jours ont eu lieu pour les frontaliers belges et français au Grand-Duché mais les allemands restent à 19 jours).

A l’échelle de la Grande Région

 Développer un portage politique fort, lisible et visible du Schéma de Développement Territorial.

  • Faire davantage converger les réflexions menées par le Sommet des Exécutifs, le Conseil Economique et Social de la Grande Région et le Conseil Parlementaire Interrégional sur ces questions.

            A l’échelle de chaque versant de la Grande Région

  • Rendre plus cohérent, lisible et efficace le portage politique par les acteurs concernés (Etat, collectivités), en particulier sur le versant lorrain en veillant à mieux articuler les différentes échelles de relations et coopérations locales et transfrontalières.
  • Assurer une meilleure transposition de la stratégie transfrontalière de la Grande Région dans les documents de planification régionaux et supra-communaux.

A l’échelle de l’aire métropolitaine de Luxembourg

  • Passer, dans la perspective démographique 2018-2050 que l’on connait à l’échelle de la Grande Région (vieillissement et diminution de la population active dans les territoires voisins du Grand Duché dont la croissance perdure), d’une dynamique d’aspiration (avec les déséquilibres et les risques qu’elle induit) à un développement intégré plus équilibré et véritablement partagé, soutenabletant pour les citoyens que pour l’environnement et favorisant la cohésion sociale et territoriale dans une logique de coresponsabilité du développement du territoire.

 Consolider la coopération partagée entre les Etats concernés et le Grand-Duché : s’inspirer du traité d’Aix la Chapelle pour envisager un traité interétatique multilatéral avec en particulier la mise en place d’un comité de coopération transfrontalière multilatéral associant des élus nationaux et locaux.

  • Passer d’une intégration fonctionnelle à une intégration politique à l’échelle de l’aire métropolitaine de Luxembourg comprenant une partie de la Province de Luxembourg et la Communauté germanophone en Belgique, le Nord lorrain et les territoires frontaliers de Rhénanie- Palatinat et de Sarre (en s’appuyant sur le retour d’expérience de la gouvernance mise en place pour le Grand Genève).
  • Elaborer à cette échelle une stratégie durable d’aménagement du territoire fondée sur une vision prospective transdisciplinaire et systémique (cf. Grand Genève).
L’initiative « Luxembourg in transition » une opportunitéLe Grand-Duché vient de lancer une consultation internationale afin de désigner les équipes pluridisciplinaires urbanistiques, architecturales et paysagère, chargées d’élaborer les scénarios de sa politique de transition écologique des trente prochaines années ; non des réponses prêtes à l’emploi, mais un éclairage général qui permettra de guider les autorités. Cette démarche intègre les territoires frontaliers (Lorraine, Belgique, Sarre et Rhénanie-Palatinat) et associe leurs représentants dans un comité consultatif.

 

  • Faire converger les différents moyens financiers (fonds européens INTERREG et part des autres fonds européens – structurels, sectoriels -, budget des états, budget des collectivités) pour financer des projets « d’intérêt métropolitains » (comme par exemple le projet de réseau express métropolitain transfrontalier initié par le Sillon lorrain) à l’échelle de l’aire métropolitaine de Luxembourg incluant la réduction des fragmentations et des ségrégations territoriales, avec une clef de répartition équitable au regard des déséquilibres aujourd’hui constatés (cf. le Grand Genève).

 

 

 

 

 

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