LORRAINE Luxembourg : Regards croisés
Depuis de longues années le Grand-Duché du Luxembourg et la Lorraine entretiennent des relations certes amicales et fraternelles mais marquées parfois par certaines incompréhensions qu’il faut éclaircir. Les regards croisés que porte chaque pays sur son voisin sont en effet assez différents.
Nombreux sont en effet ceux en Lorraine qui regardent le Grand-Duché avec un sentiment où se mêlent l’admiration mais aussi une pointe de jalousie et de défiance. Admiration devant la capacité du pays à effectuer une reconversion puissante et efficace dans un contexte où rien n’était gagné d’avance. Dans leur immense majorité les Lorrains savent que si le Grand-Duché n’avait pas connu un développement économique exceptionnel leur région aurait encore décliné davantage. Mais des voix, certes minoritaires, expriment parfois publiquement un sentiment de défiance, teinté de jalousie, en décrivant le Grand-Duché comme un « pays prédateur » « affaiblissant » la Lorraine. Certains osent même affirmer que « la croissance du nombre des frontaliers contribue, depuis 1998 au décrochage économique du Grand Est ».
De leur côté, les responsables luxembourgeois comprennent très mal ces critiques alors qu’ils créent chaque année plus d’emplois nouveaux que la Lorraine n’en propose elle-même à sa population sur son propre territoire. Les Luxembourgeois ont également beau jeu de rappeler que les 110 000 emplois proposés aux travailleurs frontaliers lorrains régénèrent la population lorraine. Sans cette bouffée d’oxygène, qui fixe en Lorraine une population résidentielle bénéficiant de revenus plutôt élevés, la Lorraine aurait connu une érosion démographique encore beaucoup plus importante.
Les Lorrains ne le perçoivent en effet pas toujours tant le mal est indolore : leur principal problème réside dans un déficit démographique endémique. Chaque année il y a beaucoup plus de Lorrains qui quittent la région que de nouveaux arrivants qui viennent la rejoindre. Ils s’évadent vers d’autres capitales européennes ou vers des contrées françaises situées à l’ouest, au sud ou au bord de la mer.
Dans ce contexte il est évidemment préférable que les actifs lorrains restent dans leur région plutôt que d’émigrer, quitte à se déplacer quotidiennement vers le Grand-Duché. Ce phénomène résidentiel puissant profite à de nombreuses communes lorraines à commencer Thionville ou Metz qui voient par exemple le nombre des enfants scolarisés augmenter régulièrement.
Pour autant tout va-t-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Rien n’est moins sûr. De nombreuses questions restent posées et un minimum de recul est nécessaire pour appréhender ce qui est à l’œuvre entre ces deux territoires limitrophes à la croissance si disparate.
Les Luxembourgeois créent certes beaucoup d’emplois mais ils aspirent aussi des compétences et génèrent des déséquilibres entre le centre et la périphérie, selon un processus assez classique que connaissent aussi d’autres grandes villes européennes. Dans la plupart des celles-ci le phénomène de métropolisation développe une réorganisation territoriale inégalitaire. En France par exemple, Montpellier ou Bordeaux connaissent en effet un phénomène de gentrification du centre-ville, lieu de production de plus en plus puissant mais qui s’accompagne aussi du développement d’une première ceinture résidentielle plutôt aisée et surtout, au-delà, par un espace beaucoup plus pauvre marqué par un taux de chômage élevé et de faibles créations d’emplois. De ce point de vue la mise en place de politiques d’aménagement du territoire fait souvent défaut en France.
Le développement autour de la métropole luxembourgeoise est très proche de ce processus : une capitale riche diffuse de la croissance vers certains territoires assez bien situés, au Grand-Duché ou dans le Sillon lorrain. Mais celle-ci profite moins aux bassins du Nord Lorrain, fortement désindustrialisés et ne disposant pas d’un potentiel suffisant, notamment en matière de formation. En tout état de cause une réflexion commune sur un développement économique plus harmonieux de l’espace métropolitain regroupant le Grand-Duché et la Lorraine mériterait sans doute d’être menée avec vigueur. Elle passe dans un premier temps par la définition d’une stratégie côté Lorrain, une stratégie qui fait actuellement défaut. Elle suppose ensuite la mise en place d’un outil de coopération politique France-Luxembourg plus régulier au service d’un projet de territoire transfrontalier partagé. Les initiatives prises récemment par l’État français favorisant une meilleure coopération commencent-timidement- à aller dans cette direction