QUO VADIS GRANDE REGION : DE LA COMPETION à la COOPERATION
Quo Vadis Grande Région
Besoins des talents de nos entreprises : de la compétition à la coopération
Les enjeux croisés de formation recrutement
CCI Moselle Métropole Metz, Avenue Foch Metz – 4 décembre 2019
Organisation partenariale : CCI Moselle Metz Métropole, IGR, Chambre de Commerce Luxembourg
Intervenants : Fabrice Genter Président CCI Moselle Metz Métropole ; Isabelle Schlesser ADEM – Agence pour le développement de l’emploi ; Vincent Hein Fondation IDEA asbl ; Jean Arnould Pôle formation UIMM Lorraine ; Pr Michel Fick Université de Lorraine et Joël Berger Directeur C2IME
Modération : Guy Keckhut
Conclusion : Roger Cayzelle, Président IGR
Cette rencontre s’inscrivait dans le cycle des travaux « Quo vadis Grande Région ? » qui rassemble les acteurs de l’économie, de la formation et de l’emploi de la Grande Région à l’invitation de la Chambre de commerce Luxembourg, de l’Institut de la Grande Région, de la SOLEP et de la Fondation IDEA, et aujourd’hui, de la CCI Moselle Métropole Metz
Dans son allocation d’ouverture, Fabrice GENTER, Président de la CCI Moselle Métropole Metz, souligne que la proximité des frontières au sein de la Grande Région est une chance et qu’il faut partager plus, plus vite et mieux. Il est urgent de promouvoir la Grande Région en tant qu’espace de codéveloppement et de coattractivité et pour cela il faut que les partenaires s’apprivoisent, apprennent à se connaitre.
Guy Keckhut présente ensuite les problématiques. » Si la Grande Région est un espace hétérogène sur le plan socio-économique, force est de constater que la problématique des difficultés de recrutement transcendent ses frontières internes, avec une acuité croissante. Reprise et/ou expansion économique, digitalisation, « montée en gamme » de certains secteurs, déclin démographique, inadéquation entre les compétences recherchées et les qualifications des actifs, (im)mobilité géographique, manque d’attractivité de certains métiers, exigences d’une meilleure qualité de vie au travail / d’un équilibre vie privée/vie professionnelle raisonnable … les raisons pouvant expliquer les tensions sur l’offre de travail sont nombreuses et les entreprises comme les pouvoirs publics concernés doivent s’y adapter mais surtout trouver rapidement des solutions innovantes et durables… et sans doute mieux coopérer !
L’objet de cette rencontre est de mieux cerner les contours de ce que l’on pourrait parfois appeler « une compétition voire guerre des talents « , d’identifier les principaux secteurs concernés et les compétences qui leur font défaut et de mettre en avant des solutions, notamment en matière de coopération, qui pourraient bénéficier à notre espace transfrontalier… »
Table-ronde : points saillants des interventions
Jean Arnould évoque la nécessité d’un diagnostic partagé et d’anticiper les solutions devant une situation tendue (qui est similaire à la frontière franco-suisse) en rappelant la diversité des problématiques selon les versants de la Grande Région : la Grand Duché a une économie en expansion mais une population limitée, les Länder connaissent le plein emploi (avec un perspective de déprise démographique), la Lorraine connait une pénurie de main d’œuvre et un taux de chômage encore élevé.
Il évoque le besoin de renouveler 20 000 emplois dans le secteur industriel dans les années à venir à l’échelle du Grand Est et souligne que 64 % des chefs d’entreprise sont inquiets quant au recrutement.
Pour lui, alors qu’il y a aujourd’hui 300 000 emplois non pourvus en France, l’entreprise doit opérer une révolution dans le domaine de gestion des ressources humaines : traiter des individus (acteurs de leur employabilité) et non des statistiques, considérer la formation comme une ressource de développement et apprendre à détecter et développer le potentiel des collaborateurs.
L’enjeu principal est de « faire grossir ensemble le gâteau » dans un contexte de concurrence mondiale, européenne et entre régions. C’est dans cet esprit qu’AFOREST a noué des contacts avec des acteurs de la formation tant au Grand-Duché qu’en Wallonie.
Un autre enjeu, pour ce qui concerne l’industrie, est de sensibiliser les jeunes aux métiers de ce secteur le plus en amont de leurs études et formations.
Joël Berger rappelle que la situation de tensions est ancienne mais qu’elle s’est accélérée (avec la numérisation et la digitalisation des entreprises mais aussi l’évolution des mentalités des nouvelles générations qui arrivent sur le marché du travail) et risque de se renforcer avec les perspectives de déprise démographique en Sarre et Rhénanie Palatinat.
Les chefs d’entreprises qu’il côtoie se posent tous les mêmes questions : comment maintenir les compétences dans l’entreprise ? Comment faire évoluer les métiers dans l’entreprise ? Comment anticiper les métiers de demain et trouver les bonnes compétences ?
C’est autour de ces questions que la coopération doit être menée.
Il rappelle aussi que la Lorraine, terre d’immigration, a une tradition de « melting pot » et qu’une question fondamentale est : comment accueillir tous les talents ?
Isabelle Schlesser précise que les difficultés de recrutement au Grand-Duché sont variables selon les secteurs, mais que les chefs d’entreprise partagent l’inquiétude de leurs homologues lorrains. Il y a pour elle une dimension psychologique : la crainte de manquer des « bons éléments ».
Elle rappelle que l’emploi connait au Grand-Duché une croissance de 3% par an. Cette tendance, même si un léger fléchissement est envisagé en 2020, se maintiendra. Compte tenu de son manque de ressources en hommes, le pays devra continuer à aller chercher la main d’œuvre ailleurs.
La Grand-Duché a aussi une tradition d’accueil (75% des actifs ne sont pas des nationaux).
Il y a cependant effectivement pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs au Luxembourg (audit et contrôle comptables et financiers, comptabilité, études et développement informatique , secrétariat, défense et conseil juridique, personnel de cuisine, service en restauration, sécurité et surveillance privées, nettoyage des locaux , xxpertise et support technique en systèmes d’information…).
Et les secteurs qui ne demandent pas beaucoup de qualifications offrent des conditions de travail compliquées qui peuvent être rebutantes.
C’est pour ces raisons que le Gouvernement Bettel 2 a inscrit dans son programme deux objectifs : « retenir les talents » « attirer les talents ».
Le projet pilote « Digital Skills Bridge » permet d’expérimenter une aide aux entreprises pour anticiper l’évolution de métiers et prévenir le chômage par la formation interne.
C’est dans le même esprit qu’il est envisagé de développer des formations partagées avec Pôle Emploi.
Selon elle, il est essentiel de penser formation et emploi à l’échelle de la Grande Région.
Michel Fick craint que les tensions ne deviennent graves, en évoquant une fromagerie dans laquelle deux emplois de cadre sur cinq ne sont pas pourvus (avec le risque de baisse de la qualité et d’une délocalisation)
Les deux défis principaux en Lorraine sont de retenir et d’attirer les compétences, dans un contexte où le Luxembourg a un effet « aspirateur ».
Alors que le nombre d’étudiants de l’Université de Lorraine a augmenté de 15 % avec un taux d’employabilité de 90 %, seuls 20 % des étudiants vont travailler au Grand-Duché. Les ingénieurs sont plutôt tentés par d’autres régions en France. La limite des ressources est atteinte et il faut envisager de nouvelles solutions.
Une des principales difficultés posée à l’Université est la connaissance des secteurs et des métiers pour les jeunes y entrants : les filières jugées attractives (droit, sport, médecine, langues appliquées connaissent des taux d’échec élevés atteignant parfois 50 %). C’est sur ce « vivier » qu’il faut travailler en développant l’information sur les secteurs et les métiers très en amont.
Et s’il est vrai que les jeunes ingénieurs sont tenté davantage par les grands groupes que par les PMI PME, la dimension qualitative du travail et l’éthique de l’entreprise commencent à prendre de plus en plus d’importance pour eux.
C’est pourquoi il est nécessaire de mettre en œuvre une politique d’attractivité tant dans les entreprises que dans les territoires.
Vincent Hein insiste sur le nouveau cycle démographique dans lequel s’installe la Grande Région : perspective d’une diminution de l’ordre de 400 000 du nombre de personnes en âge de travailler à l’horizon 2030, alors que dans le même temps, sur le périmètre de l’aire métropolitaine de Luxembourg, 100 000 actifs de plus seront nécessaires.
Il module ces prévisions en évoquant les possibilité de jouer sur le taux d’activité et souligne les incertitudes quant à l’évolution des emplois.
Pour lui, dans un contexte de pénurie des ressources humaines, il n’est pas surprenant que la concurrence s’attise. Mais cela ne doit empêcher la coopération.
Si beaucoup de choses ont déjà été faites pour favoriser la mobilité des salariés, il faut amorcer une nouvelle phase, rendue nécessaire par l’interdépendance irréversible qui s’est constituée sur le territoire de l’aire métropolitaine de Luxembourg et qui se caractérise par une hyperspécialisation des centres.
Il reprend quelques éléments de la récents étude IDEA qu’il a réalisé (« le codéveloppement dans l’aire métropolitaine de Luxembourg ») en évoquant la « coopétition » qui pourrait être mise en œuvre, dans une logique gagnant/gagnant, en dépassant les frontières. Il cite quelques domaines envisageables : le recensement du foncier disponible, l’ingénierie de développement autour des projets industriels, le marketing territorial à destination de l’étranger, l’enseignement supérieur, une école d’ingénieur franco-luxembourgeoise, une stratégie commune de formation professionnelle initiale (apprentissage) et continue (demandeurs d’emploi), les langues…
Au cours des échanges, Fabrice Genter évoque la nécessité d’avoir une approche transversale du codéveloppement en insistant sur le lien entre la fidélisation des salariés et la présence sur les territoires d’équipements et de services permettant des offres de qualité (culture, sport, santé etc.). Le marketing territorial partagé est pour lui essentiel.
Les participants dans la salle
Les directeurs d’écoles d’ingénieur présent dans la salle soulignent l’enjeu de la fidélisation des jeunes ingénieurs qui font du « zapping ».
Dans son intervention le président du réseau « Re@gir » confirme l’enjeu de l’attractivité qui est un vrai intérêt commun de part de d’autre de la frontière, et auquel il ajoute ceux de l’adaptabilité et de la réactivité attendues par les chefs d’entreprise de la part tant des cadres que des autres salariés.
Il évoque aussi la piste d’un travail nécessaire avec enseignants et parents pour mieux faire connaitre les secteurs et les métiers et émet le souhait que la formation tant initiale que continue prépare davantage à la réactivité et l’adaptabilité.
Dans se conclusion, Roger Cayzelle évoque les quatre questions qui lui paraissent essentielles :
• l’objectivation et le partage des données pour un diagnostic étayé ;
• la prospective relative aux évolutions des compétences et des qualifications (en ayant une attention particulière pour les personnes les moins qualifiées) : quelle méthodologie ? Comment mieux anticiper ?
• le développement de formations partagées ;
• la mobilisation des politiques (attractivité territoriale).