Les relations du Grand-Duché avec ses voisins de la Grande Région – JEAN-JACQUES ROMMES- vice président du CES du Luxembourg
La Grande Région et le phénomène du travail transfrontalier revêtent pour l’économie luxembourgeoise une importance telle que leConseil économique et social (CES) a voulu décrire cet apport vital à notre pays. Il a produit un premier avis descriptif du phénomène frontalier1, mais fut interrompu par la crise du COVID-19 avant de pouvoir se pencher plus en détail sur des questions plus spécifiques,telles que la fiscalité, la sécurité sociale, l’aménagement du territoire ou encore des sujets relatifs au droit du travail. La présente contribution s’appuiera sur un certain nombre de constats que le CES a couché sur papier, mais n’engage pas celui-ci puisqu’elle intègre des réflexions personnelles sur maintes dimensions de la Grande Région dont le CES n’a pas, ou pas encore, débattu.
Avant-propos
Les Luxembourgeois se voient rappeler régulièrement par l’un ou l’autre de leurs responsables politiques que leur succès au plan économique et social n’est pas sous leur seul contrôle. « Le Luxembourg n’est pas une île » entend-on alors, un propos justifié, mais qui cache largement à quel point un si petit territoire vit en symbiose avec le monde qui l’entoure. De fait, si ce pays était isolé, on le verrait asséché etfané en quelques jours. Cette dépendance de l’extérieur est brutalement entrée dans les consciences lors du confinement et des fermetures de frontières au printemps 2020. Alors que d’autres pays européen s’étonnaient du risque d’être coupés de l’approvisionnement enprovenance de l’Asie, le Luxembourg a constaté à quel point l’apport en main d’œuvre de la Grande Région est vital pour lui. Cargolux aidant, la connexion avec la Chine semblait soudain moins compromise que celle avec Thionville. Comment est-il possible qu’une telle vulnérabilité ne soit pas apparue plus tôt à la une de nos journaux et de l’agenda politique grand-ducal ? Que faire pour que cettedépendance endémique devienne une interdépendance, voire une unité d’intérêt gérée en commun ? C’est la question difficile auquel leLuxembourg, seul
- Conseil économique et social (2020) : travail transfrontalier : historique, présent et prévisions. https://ces. public.lu/dam-assets/fr/avis/themes-europeens/VC-Avis-Travtransfr-Hist-Pres-Prev-220120-13022020.pdf
État souverain de la Grande Région, doit trouver une réponse car son intérêt bien compris est depuis longtemps déjà un intérêt partagé.
L’emploi comme intersection entre le Luxembourg et ses voisins
Le Luxembourg se trouve au cœur d’un espace transfrontalier que nous appelons donc la Grande Région. Il peut être compris comme unterritoire qui abrite plus de 11 millions d’habitants si on y inclut la Sarre et la Rhénanie-Palatinat, la Wallonie y comprise la Communauté germanophone et bien sûr la Lorraine, fusionnée au sein du Grand Est depuis 2016. Ce qui rend cet espace « transfrontalier », c’est avant toutle travail frontalier, c’est-à-dire la mobilité des travailleurs, avec des origines anciennes résultant d’une histoire industrielle commune.
En réaction à la crise sidérurgique des années ’70 du siècle dernier, des politiques de reconversion industrielle ont été menées dans lesdiverses régions, lesquelles ont abouti à des résultats économiques relativement différents et qui marquent aujourd’hui le paysage économique de chaque région.
Au Luxembourg, la restructuration de l’industrie s’est accompagnée d’un vaste programme de diversification économique, passant par le développement du secteur tertiaire, notamment de la place financière, mais également des industries de pointe comme l’audiovisuel et lestélécommunications. Le processus d’intégration européenne avec les
« quatre libertés » de l’Union européenne, garantissant depuis 1993 un marché unique basé sur la libre circulation, tout comme la création del’espace Schengen en 1995, a contribué à amplifier les mouvements démographique et économique au niveau de la Grande Région.
Aujourd’hui l’emploi intérieur luxembourgeois compte plus de 460.000 personnes, dont
205.000 c’est-à-dire plus de 43% sont des non-résidents. Sur une augmentation de l’emploi intérieur total de plus de 300.000 unités de1980 à 2019, autour de 185.000 personnes sont des travailleurs non-résidents, ce qui correspond à 61% de la croissance de l’emploi intérieur total observé sur cette période. Ces chiffres sont impressionnants aussi lorsqu’on les place dans un contexte plus large : Sur 220 millions detravailleurs, l’Union européenne comptait, en 2018, 1,3 millions de frontaliers, soit 0,6% de la population en âge de travailler2 dont notre Grande Région fourni à elle-seule un cinquième. Elle est, de loin, l’espace régional avec le plus grand nombre de travailleurs frontaliers de l’Union. Les frontières du Luxembourg ne sont pas les seules qui sont traversées, mais les nombres justifient néanmoins de mettre le Grand-Duché au centre du phénomène.
2) https://ec.europa.eu/eurostat/cache/digpub/eumove/bloc-2c.html?lang=en
La structure de l’emploi luxembourgeois s’en trouve radicalement transformée. Le graphique ci-dessous illustre, d’une part, lacroissance exceptionnelle de l’emploi au cours des trente dernières années et d’autre part, la montée de l’emploi non-résident à partir de l’année 1986. La place financière luxembourgeoise et plus largement le secteur tertiaire peuvent facilement être identifiés comme lesdéclencheurs de la croissance exceptionnelle du PIB et de l’emploi qu’a connue le Luxembourg depuis.
Dans son avis « Travail transfrontalier : Historique, présent et prévisions » (3), le CES a tenté de décrire cette population de travailleurs frontaliers au Luxembourg. Par secteur d’activité d’abord, on constate que les salariés frontaliers sont très majoritaires dans l’industrie, la construction, le secteur automobile ou encore les services administratifs et de soutien. Dans l’industrie manufacturière ilsreprésentent carrément les deux tiers de la main d’œuvre. Ils fournissent la moitié du travail aussi dans des secteurs à haute valeur ajoutée comme les services financiers, les activités scientifiques ou les TIC (Technologies de l’information et de la communication). A l’inverse, lesecteur de l’administration publique est celui qui emploie le moins de salariés frontaliers avec seulement 5,4% (2.480 personnes).
Les travailleurs frontaliers belges sont les mieux formés, ce qui explique leur forte présence dans les activités scientifiques et techniques.A l’inverse, c’est la population résidente qui fournit l’essentiel des « cols bleus ».
Sans surprise, la plupart des travailleurs frontaliers vivent directement aux frontières du Grand-Duché, 25% faisant la navette à partir del’Allemagne et de la Belgique respectivement et la moitié de la France. Il vient autant de personnes de la seule commune de Thionville qu’ilen vient des territoires allemand ou belge. Leur flux majeur se dirige vers la capitale luxembourgeoise et ils se déplacent à 86% en véhicule particulier.
Les raisons du développement du travail frontalier dans la Grande Région sont multiples et diverses. Les disparités économiques entre régions qui résultent notamment des diverses politiques de reconversion industrielle ont abouti à des résultats économiques assez différents et marquent aujourd’hui le paysage économique de chaque région. Ces différences économiques contribuent à dynamiser les échanges transfrontaliers au sein de la Grande Région dont le Luxembourg est le moteur démographique. Entre 2000 et 2017, la population grand-ducale a crû de 36%, alors qu’au niveau des autres régions, elle augmente de façon atone, voire diminue dans la Sarre.
Les déficits de création d’emplois en Lorraine et en Wallonie ont évidemment favorisé le mouvement frontalier et, plus généralement, des dynamiques économiques régionales donnent des résultats aujourd’hui contrastés : c’est du côté allemand que l’industrie est relativement importante au niveau de l’emploi, tandis qu’en Wallonie et au Luxembourg le secteur de l’industrie recule. Par contre, latertiarisation y est particulièrement marquée.
Ainsi le travail frontalier permet un ajustement non seulement quantitatif, mais aussi qualitatif (en termes de profils) entre les besoins etles disponibilités en main d’œuvre de part et d’autre des frontières.
Au Luxembourg, l’emploi non-résident respire avec le PIB luxembourgeois. L’attrait du Luxembourg s’explique par des opportunitésprofessionnelles, des niveaux de rémunération supérieurs ou encore le niveau des prestations sociales. Seule la Rhénanie-Palatinat offre des salaires plus attractifs dans le secteur secondaire, sinon, c’est le secteur tertiaire luxembourgeois qui tire les salaires.
D’autres raisons jouent également ; certaines sont d’ordre démographique, d’autres sont d’ordre linguistique, d’autres encore d’ordre culturel ou historique. L’évolution des prix de l’immobilier au Luxembourg incite un nombre croissant de salariés de nationalité luxembourgeoise à changer de pays de résidence sans changer de pays de travail. Il sont aujourd’hui quelques 8.000 travailleurs frontaliers de nationalité luxembourgeoise qui travaillent au Luxembourg.
La croissance luxembourgeoise passe par ses voisins
Le modèle économique luxembourgeois qui attire tous ces gens est assez mal compris, par nos voisins certainement, mais par la population luxembourgeoise aussi.
Contrairement aux Région, Provinces ou Länder qui l’entourent, le Grand-Duché est un État souverain ce qui lui donne des pouvoirs très supérieurs à ses proches voisins, mais aussi une vulnérabilité que les dirigeants luxembourgeois ont intérêt à ne jamais oublier. Étant donné l’exiguïté de son territoire, mais aussi ses ressources naturelles limitées, le Luxembourg n’a jamais entendu vivre de façon isolée et autonome. Avec un marché forcément à l’extérieur de ses frontières, l’économie luxembourgeoise doit être au service des autres qu’elle doit convaincre de devenir des clients. Zollverein, UEBL (Union économique et monétaire belgo-luxembourgeoise), CEA (Communauté du charbon et de l’acier) et finalement Union européenne, ces espaces forment l’espace économique du Luxembourg dont le territoire n’offre pas de « Hinterland », pas de réserves, pas de défenses. Sans ses voisins, il ne peut pas vivre. Historiquement, même sasouveraineté est celle que ses voisins ont bien voulu lui laisser.
Depuis toujours, le capital à l’origine de l’économie de notre pays est venu d’ailleurs. Depuis toujours aussi, une partie du travail et des idées qui nous font vivre fut importée. D’ARBED jusqu’à Arcelor-Mittal, Goodyear, RTL, les banques, l’industrie des fonds d’investissement, le secteur logistique, tous sont là pour dépasser les frontières. La politique dite du « headquartering » consiste à établir lescentres de décision d’entreprises multinationales et naît de l’intérêt à servir toute l’UE depuis le Luxembourg multilingue, politiquementstable et neutre. Il n’est pas facile de servir la France depuis Hambourg ou l’Allemagne depuis Lyon.
Si vous n’avez pas grand-chose, sauf votre souveraineté, il est normal que votre politique fiscale accompagne cette stratégie, mais dedire que la stratégie du Luxembourg est essentiellement fiscale est un conte de fées pour journalistes. En fait, le Luxembourg est un carrefouret un centre économique au milieu d’une région frontalière des cultures. Les Luxembourgeois eux-mêmes ont du mal à saisir cette réalité ce qui nous vaut des débats assez déplacés, comme ceux sur la croissance, sur la langue ou sur le droit de vote.
Le succès de ce modèle fait du Gutland Luxembourgeois une métropole. Certes, si la Ville de Luxembourg avec ses 120.000 habitants, est,en comparaison internationale, une ville de province comme Metz ou Trèves, le sud et le centre du pays sont sur le point de fusionner enune zone de haute activité qui évolue alors dans la catégorie de Strasbourg ou de Karlsruhe. Les centres économiques de cette dimension ontun effet de rayonnement de 100 km au-delà de leur centre. Beaucoup des problèmes qui affligent les Luxembourgeois sont des problèmes trèscontemporains des métropoles : gentrification du centre-ville, prix
de l’immobilier inabordables pour la classe moyenne, longue distance du lieu de travail, embouteillages, de fortes inégalités – même là où lesgens vont relativement bien. Les gens de Munich et de Bruxelles, de Paris ou de Londres connaissent bien ces soucis. La grande particularité luxembourgeoise consiste dans les frontières nationales à seulement 30 km du centre.
Ce centre génère un PIB réalisé par la main d’œuvre de toute la région ce qui donne une statistique très faussée, à savoir un PIB/habitant parmi les plus élevés de la planète. De plus, l’évolution de ce PIB est dictée par l’apport en main d’œuvre étrangère additionnelle : Depuis deux décennies, notre production et le nombre de nos travailleurs ont tous deux augmenté de quelque 50%.
Même s’il est vrai que certains pans d’activité sont hautement productifs, il reste que depuis le début du millénaire l’économie du paysest mue essentiellement par la démographie du travail.
Pour le moment, les finances publiques profitent de cette évolution par la consommation (TVA), la retenue d’impôt sur salaire (IRP) et l’impôt payé par les entreprises (IRC et ICC), qui tous s’envolent plus ou moins directement avec la croissance. L’État utilise cette manne àconcurrence de 48% pour ses redistributions sociales, à concurrence de 13% pour investir, mais aussi pour richement arroser les électeurs,c’est-à-dire les fonctionnaires et les retraités qui en constituent la majorité.
La part prépondérante des travailleurs qui permettent cet apport est généralement privée de passeport luxembourgeois et de pouvoir électoral. Il ne s’agit pas uniquement des frontaliers, mais aussi de tous les autres étrangers qui peuplent les entreprises à tous les niveaux. Ilstravaillent très majoritairement dans des entreprises privées et sont en moyenne jeunes et bien portants, ce qui signifie qu’eux et leurs patronscotisent dans les caisses de la Sécurité sociale, mais sans retour simultané : ils vont, une fois plus chétifs et retraités, vouloir recueillir leurpart. Pour le moment, les caisses semblent regorger d’argent, mais le jour où cesse l’apport en masse de jeunes travailleurs sains et bien payés,le système court à la catastrophe.
On comprend, à quel point, au fil des années, le recours à cette manne de travailleurs traversant quotidiennement la frontière luxembourgeoise est devenu essentielle, voire existentielle pour le Luxembourg.
Le STATEC4 indique que les 192.000 travailleurs frontaliers entrants comptabilisés en 2018 sont rémunérés à hauteur de 11,5 milliards d’euros et bénéficient de prestations sociales s’élevant à près de 2,4 milliards d’euros. Les recettes, composées d’impôts sur le revenu et de cotisations sociales imputés aux frontaliers entrants, s’élèvent à 1,1 milliard d’euros, respectivement à 2,6 milliards d’euros. En clair, dupoint de vue des seules caisses publiques, le solde est actuellement positif pour plus d’un milliard par an. En revanche, les frontaliers permettent d’arroser leurs régions d’un pouvoir d’achat accru d’une douzaine de milliards par an et le Luxembourg se crée une dette cachéeconséquente en prestations sociales futures.
Le perpetuum mobile du bien-être luxembourgeois va donc ainsi : Attirer le capital étranger et des entreprises, recruter massivement à l’étranger, dont surtout en Grande Région, une main d’œuvre dont le nombre croissant renfloue les caisses publiques qui à leur tour permettent des cotisations et impôts relativement favorables ce qui permet d’attirer encore des entreprises et des salariés.
Même si, politiquement, le pays n’est pas mûr pour admettre le caractère pyramidal de ce système, l’enjeu de la croissance infinie esttout de même discuté de plus en plus âprement.
Les limites démographiques
Selon les projections macro-économiques et démographiques pour le Luxembourg établies par le STATEC, avec une croissance annuelletendant vers son « niveau structurel » de 3% et des gains de productivité de l’ordre de 1,4% par an, le besoin de travailleurs étrangerssupplémentaires serait, en moyenne, de 9.700 personnes par an d’ici 2030. Les
4) Regards N° 14, 08/2019, « L’impact des frontaliers dans la balance de paiements »,
travailleurs étrangers se répartissent entre nouveaux résidents et nouveaux frontaliers (qu’ils soient originaires de la Grande Région ounon). Aussi bien la taille que la structure de la population totale dépendraient donc essentiellement de la répartition entre frontaliers et résidents qui composeront cette main d’œuvre étrangère supplémentaire. En effet, la population totale varierait entre 735.000 à 785.000habitants avec, à l’inverse, un besoin total de 282.000 à 253.000 frontaliers, selon les scénarios de 66%, de 50% ou de 33% de frontaliers parmi les nouveaux travailleurs étrangers.
Mais la capacité des régions qui entourent le Grand-Duché n’est pas sans limite. A l’heure actuelle, la Wallonie et la région du Grand Est constituent des « réservoirs » de main d’œuvre pour leurs voisins et permettent, à l’échelle de la Grande Région, de contribuer à l’équilibre du marché du travail. Or, sous l’effet du vieillissement de la population, la Grande Région devra faire face à une décroissance démographique, selon les projections à moyen terme (2035) établies par l’Agence d’Urbanisme et de Développement Durable Lorraine Nord (Agape)5, mettant en péril cet équilibre du marché du travail au niveau de l’ensemble de la Grande Région.
5) http://www.agape-eu/mmust.html.
Au niveau de chacune des régions, les trajectoires de perspectives démographiques diffèrent :
- la Rhénanie-Palatinat et la Sarre sont marqués par une décroissance démographique ;
- la population en âge de travailler de la Wallonie ne progresserait que faiblement malgré une croissance démographique soutenue ;
- la Lorraine vivra une baisse de la population en âge de travailler ;
- seul le Luxembourg aurait une croissance dans tous les
Dans l’ensemble de la Grande Région, la population en âge de travailler (15-64 ans) pourrait ainsi baisser de 670.000 personnes d’ici2035, soit une baisse de 11% et ce, malgré une croissance démographique (+197.000). Face à cette évolution se pose l’immense défi descapacités démographiques de la Grande Région à répondre aux besoins de l’économie. Déjà aujourd’hui, certaines entreprises ont desdifficultés pour recruter du personnel hautement qualifié et élargissent de ce fait leur périmètre de recrutement au-delà de la Grande Région.
Le Luxembourg ne peut, ni ne veut renoncer à l’apport de femmes et d’hommes nationaux, étrangers, frontaliers ou non, mais il ne peut pas continuer à accroître leur nombre au même rythme : d’abord, il n’y en a tout simplement pas assez et ensuite, on ne sait plus comment lesamener, ni les loger. Il lui faudra donc augmenter la productivité de chacun de ses salariés et chercher avec ses voisins des arrangementsqui vont profiter à tous les acteurs concernés.
Une gouvernance désordonnée
La grande différence entre la Grande Région et les autres régions à impact économique comparable est un problème de gouvernance : quand on tire un cercle à 100 km de rayon de la Ville de Luxembourg, on touche 4 pays, une demi-douzaine de structures régionales, des provinces belges, des départements français et des Länder allemands, et bien sûr des centaines de municipalités. Ils sont tous concernés, ilsaimeraient tous avoir leur mot à dire sur ce qui leur arrive et on les comprend.
Si la métropole luxembourgeoise s’étend bien au-delà de ses frontières nationales, alors ses intérêts vitaux et aussi sa responsabilitééconomique vont bien au-delà des frontières de sa souveraineté politique. Penser et organiser ensemble ce territoire, pour que les habitants d’une Grande Région cohérente puissent vivre, travailler et se déplacer, est l’un des défis pour les 10 prochaines années.
Face à ces enjeux, il ne s’agit pas de savoir si et pourquoi le Luxembourg doit partager ses recettes fiscales avec Metz et Trèves. Une coopération transfrontalière renforcée et ordonnée serait plus difficile et plus coûteuse qu’un virement bancaire, mais elle seule permettrait de garantir la cohésion sociale et territoriale au sein de la Grande Région. Le développement économique commun exige ainsi une vued’ensemble afin d’éviter de trop grands déséquilibres régionaux.
Comment organiser ce territoire ? Comment le penser ?
En 1995, la création d’un Sommet de la Grande Région permanent, regroupant les exécutifs politiques de ses entités territoriales devait permettre d’institutionnaliser la coopération transfrontalière. Cet organe de pilotage stratégique formule les orientations conjointesdes politiques communes de la Grande Région. Sa présidence biennale est exercée à tour de rôle par une des entités régionales et la mise en œuvre de ses résolutions politiques est confiée à des groupes de travail thématiques. Un « Secrétariat du Sommet de la Grande Région » a étécréé en 2014 au sein de la Maison de la Grande Région à Esch-sur-Alzette. Le Sommet est entouré de deux organes consultatifs, le ComitéÉconomique et social de la Grande Région (CESGR) et le Conseil Parlementaire Interrégional (CPI). Au fil des ans, la Grande Région s’estdotée de plusieurs instruments pour assurer un développement plus harmonieux. Il existe par exemple depuis 15 ans un Observatoireinterrégional de l’emploi et un Schéma de Développement Territorial.
Le rapport Metroborder avait déjà été plus loin il y a dix ans que ce que nous osons penser aujourd’hui en parlant d’une région métropolitaine polycentrique transfrontalière capable de défendre aussi ses intérêts au niveau européen. Pour cela, elle devait se donner les moyens de prendre de l’influence sur les agendas politiques, se doter de structures de
gouvernance plus adéquates que celle, intergouvernementales, qui prédominent et impliquer aussi le niveau communal.
Mais tout ce brassage de compétences est largement inconnu de la population concernée. En tout cas à Luxembourg, la gouvernance dela Grande Région ne fait pas partie des sujets qui font les titres des journaux, ni des débats parlementaires ou électoraux.
Dans leur accord de coalition, les partis politiques actuellement au pouvoir promettent de
« valoriser le potentiel de la Grande Région » par le projet Interreg afin « d’orienter la prise de décision politique autour de thématiques importantes dans le contexte transfrontalier telles que la mobilité, la formation, la numérisation, les nouvelles formes d’organisation du travailet le développement territorial ainsi que les questions de l’énergie et de la protection de l’environnement. » Un Comité de coordination interministérielle pour la coopération transfrontalière (CICT), sous présidence du Ministère ayant les affaires étrangères et européennes dans ses attributions « servira de forum interne pour des échanges de vue réguliers entre les départements ministériels et sera chargéd’élaborer une politique cohérente de coopération transfrontalière. »
Partage fiscal ou fiscalité commune ?
De l’extérieur, on ne voit guère de projet de co-développement du territoire approfondi et les débats stériles sur des rétrocessions fiscalessemblent plutôt bloquer des revendications mieux justifiées et tout aussi urgentes. Le Gouvernement n’est pas en aveu non plus sur le caractère pyramidal du modèle luxembourgeois et de son empreinte sur la Grande Région. Sauf qu’il est conscient, en catimini, que la dette cachée que ce modèle implique ne lui donne pas toute la latitude financière que nos voisins croient si spectaculaire.
De toute évidence, la boutade du Premier ministre sur son manque d’envie à financer les décorations de Noël des communesavoisinantes n’est pas une vraie réponse à la réalité du besoin de co-développement. Le CES luxembourgeois n’a pas eu l’occasion de se prononcer à cet égard pour les raisons citées en début d’exposé, mais même à défaut d’analyse plus poussée, il faut craindre que le Gouvernement abuse de sa position hiérarchique d’État souverain en faisant traîner des projets de développement ambitieux et intégré.
La galère quotidienne des frontaliers pour se rendre au boulot, le stress sur les infrastructures de nos voisins et le Niet absolu du Gouvernement luxembourgeois sur le sujet des rétrocessions fiscales a quelque peu dégradé le climat dans la Grande Région. Et en effet, lesdisparités d’investissement peuvent choquer alors qu’il s’agit, nous l’avons assez dit maintenant, d’un territoire qui vit en symbiose, que nous le voulions ou non.
Sur ce dernier point, où les anciens maires de Metz (Gros) et Villerupt (Casoni) sont les plus explicites, on donne à considérer deux pointsqui ne sont pas cités dans le débat par
l’inconfort politique majeur qu’ils risquent de susciter, mais qui jouent leur rôle sous-cutané : Il y a d’abord Cattenom. Le ton du Niet luxembourgeois sur les questions fiscales ressemble pour beaucoup au ton du Niet français sur la centrale nucléaire qui est à nos portes.Ensuite, la description que la France médiatique et politique fait de la fiscalité luxembourgeoise, n’invite pas les Luxembourgeois à tenter un dialogue serein avec des élus français sur la fiscalité. Lorsqu’on vous traite de paradis fiscal et de trou noir de la finance pendant des décennies, vous n’êtes pas très réceptifs à des appels au partage. Ce dernier point est bien réel : Lors de la dernière refonte de la convention denon-double imposition entre la France et le Luxembourg, ce dernier a dû faire des concessions substantielles sur des points qui frappent laplace financière, mais qui n’intéressent personne dans la Grande Région. Cela n’a pas suffi pour éviter au Luxembourgeois de se faire traiterde tous les noms à l’Assemblée nationale française lors de la ratification parlementaire. Après cela, l’envie de ré-ouvrir le dossier avec les maires des communes voisines est très limitée.
Jusqu’à présent le CES luxembourgeois ne s’est pas prononcé sur les rétrocessions. Mais dans la mesure où il se considère comme représentant aussi des salariés frontaliers et de leurs employeurs, on peut prédire sans risque de se tromper que son analyse ne sera pas marquée par des animosités cachées ni par des frustrations. Bien que les sommes en jeu sont considérables – on parle de 2.000 € par frontalier ce qui met la barre à quelque 400 millions par an – l’avarice ne jouera pas non plus au sein du CES. Mais il analysera certainement la logique d’un tel système. Ainsi les représentants des salariés soutiennent traditionnellement la cause des frontaliers commebénéficiaires des prestations familiales, bourses et crèches financées par l’impôt, une position qui serait mise à mal en cas de partage directdes impôts. Quant aux employeurs, ils se sont publiquement exprimés pour un financement massif des Luxembourgeois dans l’infrastructure d’outre frontière. Le CES cherchera donc du côté de ce qu’on appelle la coopération, terme qui reste à remplir par un contenu cohérent.
De toute évidence, la pandémie actuelle va marquer aussi ce dossier, pour deux raisons surtout : le public luxembourgeois a constaté sa grande dépendance de l’apport en main d’œuvre de la Grande Région. Ce constat est marqué par un sentiment désagréable de vulnérabilité,mais aussi de reconnaissance envers les collègues frontaliers, notamment dans le secteur de la santé. Des observations selon lesquelles les frontaliers doivent être heureux de trouver un boulot au Grand-Duché sonnent plus déplacés depuis l’année 2020. L’autre changement est évidemment le télétravail qui est arrivé à balayer, pour quelques mois au moins, les soucis d’embouteillage, non sans soulever évidemmentd’autres questions.
Lors de la visite d’État luxembourgeoise en France en 2018, plusieurs accords ont été signés entre les deux pays, dont celui ayant menédepuis à une nouvelle convention fiscale et, surtout, un protocole d’accord relatif au renforcement de la coopération en matière
de transports transfrontaliers qui prévoit d’améliorer les infrastructures ferroviaires et routières sur le sillon lorrain par le biais d’un cofinancement franco-luxembourgeois. Dans ce cadre, le Luxembourg s’est engagé à contribuer jusqu’à 120 millions d’euros et il semble que le Gouvernement est en principe prêt à augmenter son engagement si les projets sont concrets et que leur intérêt pour le Grand-Duché est sensible.
Conformément à l’accord de coalition, le Luxembourg s’y est déclaré très favorable au renforcement de la coopération transfrontalière,qu’il s’agisse des transports, de la sécurité, de la santé, de la formation professionnelle ou de l’énergie. En réalité les idées et les pistes de coopération sont légion au point qu’on ne peut pas avoir l’ambition d’en faire le tour dans ce cadre.
Les Luxembourgeois ont cependant refusé l’idée des élus du Sillon lorrain de créer un fonds métropolitain transfrontalier cogéré avec le Luxembourg et alimenté par un prélèvement sur le salaire des frontaliers lorrains, un modèle qui s’inspire de l’accord entre le canton deGenève et les départements français de l’Ain et de la Haute-Savoie depuis 1973.
La construction de solidarités transfrontalières nécessite d’articuler les aménagements des deux côtés de la frontière. Mais l’aménagement du territoire dure et a besoin d’une gouvernance. En ce sens, on peut citer le Groupement Européen de Coopération Territoriale (GECT) Alzette-Belval qui a vocation à incarner un tel outil. Mais on voit déjà le premier problème : gouvernance bilatérale entre le Luxembourg et chacun de ses voisins ou gouvernance de toute la Région ?
Il y a deux ans, la présidente du Medef de Meurthe-et-Moselle, Christine Bertrand, a écrit au Premier ministre, Edouard Philippe, pour lui demander de faire de l’espace transfrontalier, comprenant le Luxembourg, la Wallonie, la Sarre et la Lorraine, un territoired’expérimentation. Ce « laboratoire » devrait permettre d’aller vers une convergence en matières sociale et fiscale avec le Luxembourg.Elle propose une expérimentation à faire ici, sur cette bande transfrontalière, pour obtenir une convergence sur le social et le fiscal entre les voisins. Madame Bertrand estime qu’à défaut de foncier au Luxembourg il n’est plus possible d’y implanter des entreprises qui veulentpourtant venir, parce que le Luxembourg a un droit fiscal et social très attractif. Le Grand Est ne manque pas de foncier et nos deux autres voisins directs non plus d’ailleurs.
Certains élus lorrains ont aussi évoqué la constitution d’une zone transfrontalière à fiscalité harmonisée dans le sillon lorrain ou d’une zone franche à fiscalité particulière. Cette idée n’a cependant rien de régional et se heurte aussi à plusieurs obstacles d’ampleur, parmi lesquels :
- le principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt ;
- les conséquences d’un déplacement de la frontière fiscale, située non plus à la frontière physique avec le Luxembourg mais sur le territoire national du voisin.
Victor Weitzel écrit à ce propos dans une série d’articles publiés en avril 2018 chez REPORTER et consacrée à la Grande Région : « Un beau débat en perspective, car cette zone franche franco-luxembourgeoise sera basée sur le modèle économique, fiscal et social qui réussit lemieux en termes d’attrait et de compétitivité, le modèle luxembourgeois. Cela ne manquera pas de susciter de nombreuses questions dans une Lorraine politiquement indécise entre le sentiment d’être négligée par Paris, l’acceptation de l’interdépendance transfrontalière et la tentation souverainiste voire nationaliste, et d’une manière ou d’une autre peu encline à passer sous les fourches caudines du modèle du pluspetit partenaire. »
Grande Région ou zones de développement bilatérales
Il reste qu’il est correct de dire que le développement économique du Luxembourg est aujourd’hui freiné par les contraintes liées à l’exiguïté et à l’aménagement de notre territoire, aux besoins de travailleurs frontaliers pour pourvoir aux emplois crées et aux limites quantitatives et qualitatives de nos infrastructures. Parallèlement, une discussion de fond a lieu dans le pays au sujet du modèle de croissancedu futur avec comme variable principale la nécessaire amélioration de la productivité permettant d’obtenir à l’avenir un taux de croissance plus élevé que le taux de croissance de l’emploi.
Une réflexion de fond devrait donc distinguer des approches différentes :
- Aménagement d’une Région du Grand Luxembourg
Il s’agirait de mettre en place, en coopération entre pays, l’infrastructure d’une métropole comme le Luxembourg : Routes, Voies ferrées,aéroports, énergie, environnement, universités, systèmes de santé, garde des enfants etc.6 C’est une question d’aménagement du territoire régional, un projet qui dépasserait sans doute le temps de vie des décideurs actuels. Mais le temps n’est pas le problème. Même le Kirchbergest en gestation depuis 60 ans. Le problème essentiel est la gouvernance pour laquelle il faudra trouver des modèles, tel que le Comité de coopération transfrontalière de l’Øresund entre Copenhague et Malmö.7
- Zones de développement partagées
L’idée d’appliquer la législation luxembourgeoise sur une frange de territoire de quelques kilomètres de l’autre côté de la frontière avecune répartition des flux financiers en faveur de chacune des deux régions (sécurité sociale, impôts, TVA, transferts, etc) risque d’être
6) A cet égard, voir : https://amenagement-territoire.public.lu/fr/grande-region-affaires-transfrontalieres/ SDT-GR.html.
7) Exemples étrangers : (https://oecd.org/cfe/regional-policy/publicationsdocuments/Oresund.pdf).
contraire aux principes vitaux de l’organisation des États en matière de souveraineté et d’application territoriale du droit.8
Mieux vaudrait alors réfléchir sur un régime sui generis de zone franche sur des territoires définis et délimités auxquelles s’appliqueraient des règles spécifiques en matière de droit et de types de transferts financiers de sorte à en faire profiter équitablement lesdeux parties. De telles zones pourraient s’étendre sur un territoire à cheval sur la frontière (anciennes friches dans le sud du pays, le crassierTerres rouges) ou bien se trouver enclavées dans le territoire d’un pays voisin (Exemple : Aéroport de Bâle-Mulhouse, établissement public franco-suisse en territoire français).
Théoriquement, une négociation bilatérale de ce type pourrait être engagée par le Gouvernement luxembourgeois séparément avec chacun de nos voisins. La proposition serait à priori extrêmement attractive pour la Province du Luxembourg aux réserves foncières considérables. Elle offrirait à cette province de bénéficier pour son décollage économique du dynamisme de la croissance économique luxembourgeoise et ceci sans coût pour l’État belge puisque ce serait le produit de la croissance et l’augmentation de la valeur du foncier qui financeraient ce développement.
Un tel projet serait probablement logique à engager avec la France en complément au développement d’Esch. En effet, la logique de l’idée se marie mieux aux principes de souveraineté des États lorsque les terrains sont à cheval sur la frontière qui délimite les pays.
Et le CES là-dedans ?
Le CES luxembourgeois a formellement retenu de commencer par un prochain avis sur les questions liées à la formation professionnelle, qu’elle soit initiale ou continue. Dans ces domaines, on déplore un nombre insuffisant de coopérations, alors que l’importance des flux de travailleurs frontaliers pourrait favoriser une recrudescence de demandes de formations dédiées en différents points de la Grande Région. Des exemples réussis existent : l’Université de la Grande Région (UniGR) ou des coopérations entre la France et la Sarre : DFHI-Isfates (coopération Université de Lorraine – HTW Saar) et le pôle de formation transfrontalier franco-allemand Cnam-HTW Saar.
La reconnaissance des diplômes et des métiers au-delà des frontières constitue également un enjeu. Un observatoire transfrontalierrecensant les formations, les qualifications et les compétences disponibles permettrait de mieux connaître les disponibilités et les besoins
- A cet égard, voir notamment : https://wort.lu/fr/granderegion/ne-pas-rester-dans-l-ombre-du- luxembourg-5e301b64da2cc1784e354e75?utm_source=fr_daily&utm_medium=email-0800&utm_ content=newsLink&utm_campaign=dailyNewsletter.
(présents et futurs) dans toutes les composantes de la Grande Région. Les évolutions rapides des besoins des entreprises en profilssocioprofessionnels des travailleurs seraient ainsi mieux anticipées et les différents systèmes de formation adaptés en conséquence.
Enfin, le thème de la coopération en matière de santé s’est révélé comme stratégique au plus tard avec la crise sanitaire. La coopération transfrontalière franco-belge est un exemple en la matière alors que la situation est moins satisfaisante pour les coopérations au sein de la Grande Région.
Le télétravail a aussi fait l’objet de travaux importants du CES luxembourgeois, notamment parce que son cadre légal et réglementaire actuel ne correspond plus guère à la pratique caractérisée par une accélération de la digitalisation.
Au-delà de cette tendance fondamentale, le confinement imposé dans la lutte contre le COVID-19 et les actuelles recommandations gouvernementales de recourir au télétravail ont introduit une pratique qui a totalement dépassé un cadre légal et réglementaire inchangé. Poussé par le Gouvernement et le besoin de maintenir à la fois l’activité économique et la santé des salariés, de très nombreux employeurs, publics et privés, ont dû instaurer du jour au lendemain le télétravail. Pendant le confinement stricte, 69% des personnes actives (àl’exclusion des personnes étant en chômage partiel et celles étant en congé pour raisons familiales) sont passées au télétravail, généralement sans accord ou écrit formel et de ce fait en-dehors du cadre juridique existant.
Une révision du cadre s’imposait ainsi d’urgence et le CES est allé jusqu’à réécrire le cadre légal sous forme d’une nouvelle convention à signer par les partenaires sociaux. Parallèlement, le Conseil a fait des commentaires détaillés sur un certain nombre de choses, constatant notamment les avantages, mais aussi les inconvénients du télétravail.
Il a aussi tenté de définir impact du télétravail sur l’économie locale et les finances publiques au Luxembourg. Sur base d’un emploiintérieur total de 460.000 personnes et en supposant que quelque 116.145 personnes seraient en mesure de télétravailler une fois par semaine, on craint que le télétravail pourrait faire reculer le chiffre d’affaires du commerce local concerné d’environ 350 millions d’eurospar année avec une perte de plus de 2.000 emplois, de 17 millions d’euros en cotisations sociales, de 10 millions d’euros de TVA et près de 6millions d’euros de retenue d’impôt sur salaires. Et ce calcul ne prend pas en compte d’éventuelles répercussions négatives sur le budget del’État si les conventions bilatérales avec les pays voisins auraient à être revues pour permettre plus de télétravail aux frontaliers.
Car le CES trouverait opportun de réfléchir à un alignement des seuils de tolérance fiscale pour les trois pays frontaliers à 25% du temps de travail ce qui permettrait un maintien de l’affiliation des salariés à la sécurité sociale luxembourgeoise. Ce but sera difficile à atteindre et ne sera pas gratuit.
Conclusion
La Grande Région représente au niveau européen un formidable laboratoire, unique en son genre. On regrette d’ailleurs qu’elle n’attirepas plus d’attention de la part de l’Union européenne, alors que les travailleurs frontaliers, exemple-type du citoyen européen qui utilise pleinement son droit à la libre circulation, mériterait davantage de considération.
La machine à succès luxembourgeoise doit énormément à ses frontaliers et au réservoir de main d’œuvre et de compétence de la Grande Région. Il s’est ainsi créée une métropole avec une empreinte et une responsabilité qui dépasse de loin les frontières de l’État grand-ducal.
Pourtant les problèmes liés à la croissance de la métropole luxembourgeoise au centre d’une Grande Région sont tels que le modèle économique du Luxembourg et donc la prospérité de la région sont menacés parce que la cohésion de la Grande Région a été négligée.
Car le microcosme politique luxembourgeois ne connaît pas bien les rouages politiques de la Grande Région et n’entretient pas les relations personnelles et politiques privilégiées dont il se vante souvent au niveau européen. Les découpages de souveraineté, decompétence et de responsabilité démocratique sont à ce point disparates que la région n’est tout simplement pas gérée comme un espace global.
Aujourd’hui les enjeux au niveau de la Grande Région ne sont pas seulement d’ordre économique, démographique ou social. Il s’agit degarantir la cohésion sociale et territoriale et d’éviter de trop grands déséquilibres régionaux. La responsabilité essentielle d’une telle démarche incombe au seul État souverain parmi les cinq régions composant la Grande Région.
Mais la capacité du Luxembourg à soutenir le développement de ses voisins ne doit pas être surestimé pour autant. Le modèle luxembourgeois connaît des limites et un bon nombre de défis qui lui sont propres. Sa soutenabilité à plus long terme est compromise car ilest basé sur une course à la croissance sans productivité. Voilà pourquoi une coopération politique forte dans toute la Grande Région doitl’emporter sur des considérations purement financières.