Les problématiques des relations entre les territoires dans l’aire métropolitaine de Luxembourg
1- Une aire métropolitaine dans la Grande Région – Région Métropolitaine Polycentrique Transfrontalière (RMPT)
Métropolisation : processus de concentration des populations, des activités et des fonctions de commandement dans les grandes villes. Il y a un lien entre métropolisation et mondialisation : la métropolisation est une traduction spatiale de la mondialisation
En s’inscrivant dans les réseaux de l’économie mondiale, la métropolisation modifie l’ancrage local, régional ou national d’une ville. Le processus est multi scalaire : à l’échelle mondiale, il tend à renforcer les hiérarchies urbaines en faveur des grandes villes ; à l’échelle métropolitaine, on assiste à des dynamiques sociales et spatiales différenciées de fragmentation et de ségrégation. La métropolisation amplifie un certain nombre d’enjeux d’aménagement liés à l’étalement urbain, aux mobilités croissantes et à l’augmentation de nuisances (pollution, engorgement). L’ensemble réinterroge aussi les modes de gouvernance urbaine. |
1-1 Trois sous ensembles métropolitains
La carte met en évidence les trois ensembles à caractère métropolitain avec leurs orientations respectives:
- Le premier espace transfrontalier fonctionnel est situé dans la partie centrale de la Grande Région et regroupe le territoire autour du Luxembourg et de la Ville de Luxembourg (cité-Etat à l’influence politique, économique et financière déterminante à l’échelle mondiale), de Metz, de Nancy, de Sarrebruck, de Sarreguemines, de Trèves ainsi que de Kaiserslautern et de l’est de la Province wallonne du Luxembourg ;
- Un deuxième espace à dimension métropolitaine autour de l’axe rhénan et qui se compose de trois ensembles métropolitains nationaux allemands à savoir, Rhein-Ruhr, Rhein-Main et Rhein-Neckar;
- Un troisième espace à dimension métropolitaine au Nord de la Région Wallonne, composé de villes qui se tournent davantage vers Bruxelles, ainsi que des espaces métropolitains transfrontaliers tels que l’Euro métropole Lille-Kortrijk-Tournai ou la Région MHHAL (Maastricht-Heerlen-Hasselt-Aachen-Liège)
On peut aussi distinguer trois niveaux de pôles urbains (supérieur ; intermédiaire ; à confirmer = de proximité).
C’est à cette échelle qu’est menée l’action du Sommet des Exécutifs de la Grande Région
1-2 Les enjeux et les étapes du développement territorial à l’échelle de la Grande Région
1-2-1 L’étude Metroborder (2008-2010) du programme européen ESPON/ORATE
Le rapport final Metroborder de décembre 2010 met en évidence, pour la Grande Région, un « cœur », un « noyau central » autour d’un axe Luxembourg – Sarrebruck, auquel des espaces voisins sont reliés par des corridors. Le rapport indique que « l’identification [de ce] noyau central […] semble particulièrement approprié pour le développement d’une coopération renforcée en vue notamment de la création d’une RMPT ».
1-2-2 Le développement intégré au service de tous les territoires d’une Région Métropolitaine Polycentrique Transfrontalière (RMPT) (2011-2012)
Pour donner suite à l’étude Metrobroder, la présidence lorraine 2011-2012 du 13e Sommet s’est ouverte sur une proposition d’approche renouvelée de l’espace grand régional : celle d’un développement global intégré au bénéfice de tous les types de territoires qui composent cet espace.
Lors du 13e Sommet du 24 janvier 2013 à Pont-à-Mousson, la Présidence lorraine se clôt par la présentation d’un cadre stratégique articulé autour des quatre piliers (l’économie, les hommes, les territoires et la gouvernance) retenus par la déclaration de Berlin le 07 juillet 2011.
Lors de ce même Sommet, les Exécutifs adoptent une Déclaration Commune dans laquelle il est réaffirmé que la RMPT concerne tout le territoire de la Grande Région, et précisé que :
« …les Exécutifs de la Grande Région confirment la poursuite de la définition d’une stratégie de développement métropolitaine portant un développement territorial polycentrique reposant sur les complémentarités des fonctions des territoires de la Grande Région. Si les fonctions métropolitaines supérieures situées dans le noyau central de la Grande Région constituent le moteur de cette stratégie, il convient d’intégrer tous les territoires de l’espace de coopération institutionnelle afin de contribuer à un développement territorial structuré et équilibré à même de répondre aux préoccupations quotidiennes des habitants de la Grande Région accentuées par la situation économique et sociale actuelle.
1-2-3 Vers un Schéma de Développement Territorial de la Grande Région (depuis 2012)
A l’issue de la présidence lorraine du 13e sommet, les Exécutifs ont validé la proposition de la 3e réunion sectorielle conjointe Aménagement du territoire et Transports du 17 janvier 2013 portant sur l’élaboration d’un Schéma de développement territorial à l’échelle de la Grande Région (SDT-GR), la mission d’en piloter la réalisation étant confiée au Comité de Coordination du Développement Territorial (sous présidence luxembourgeoise). Il est à noter que le seul document prospectif existant alors datait de 2003 à l’initiative de la Sarre présidant alors le 7e Sommet des Exécutifs.
Ce schéma de développement territorial vise à offrir un cadre général aux actions et réalisations concrètes à mener au niveau de la Grande Région afin d’orienter de manière cohérente la prise de décision politique, et, par conséquent, le développement territorial commun de la Grande Région. Il doit déboucher sur un programme opérationnel d’actions en référence au cadre stratégique.
Pour ce faire, le Schéma doit :
- conforter les fonctions métropolitaines supérieures de l’espace central comprenant Luxembourg, Arlon, Metz, Nancy, Sarrebruck, Sarreguemines, Trèves ainsi que Kaiserlautern,
- renforcer les liens entre les trois espaces à potentiel métropolitain de la Grande Régiondans l’objectif du développement de la dimension métropolitaine de l’ensemble de la Grande Région.
Il doit permettre d’identifier les interactions entre les territoires de la Grande Région autour des fonctions productives, résidentielles, récréatives (culture, tourisme) et environnementales, afin de conduire à des relations de solidarité réciproques renforcées, en mettant l’accent sur les transports, la mobilité et le développement de l’habitat, et en établissant les liens avec d’autres aspects nécessaires au développement territorial tels que les questions de l’énergie et de la protection de l’environnement et du climat.
Dans un premier temps, 3 documents ont été produits : la dimension métropolitaine de la Grande Région (carte page 1), les projets de transport prioritaires, l’étude préparatoire au volet économie.
En 2016, un groupement, mandaté par l’Agape, a procédé à une analyse transversale de documents stratégiques existants en Grande Région, afin d’en tirer un bilan et des préconisations susceptibles de réinterroger la méthode d’élaboration du SDT-GR.
Lancé le 1er janvier 2018 pour une durée de 4 ans, le projet Interreg SDT GR, porté par 25 partenaires issus de l’ensemble des versants de la Grande Région en est à la fin de sa deuxième phase :
- la première phase a consisté, dans une démarche participative, en la constitution d’un socle de connaissances partagé et d’un langage commun. Il s’est agi d’établir sur base d’indicateurs socio-économiques et territoriaux des diagnostics permettant la spatialisation des problématiques, et d’aboutir à une série cartographique de présentations des risques et opportunités.
- au cours de la 2ème phase, sur la base de ces résultats, la stratégie de développement territorial a été élaborée. Les ministres et responsables politiques en charge de l’aménagement du territoire de la Grande Région se sont réunis le jeudi 16 janvier 2020 à l’occasion de la 6e réunion sectorielle de l’Aménagement du territoire de la Grande Région et ont validé le document « En route vers une vision stratégique opérationnelle transfrontalière pour la Grande Région ».
Les 5 finalités du Schéma de Développement Territorial de la Grande Région
o Une Grande Région plus compétitive et innovante, par ses savoirs et ses complémentarités. o Une qualité de vie et un bien-être à la hauteur des transitions (climatiques, écologiques, énergétiques, démographiques, socio-économiques, digitales, alimentaires), visant une véritable cohésion sociale et territoriale. o Un marché du travail transfrontalier et partagé, fondé sur des filières communes de formation. o Un développement métropolitain polycentrique basé sur une mobilité et une connectivité bas-carbone. o Un cadre d’orientation et de coordination à long terme qui s’inscrive dans une logique multi-niveaux. |
- au cours la 3e phase (d’ici la fin 2021) des actions à mener pour assurer un volet opérationnel seront identifiées.
2- Une intégration transfrontalière fonctionnelle forte dans l’aire métropolitaine de Luxembourg
Intégration transfrontalière : l’intégration fonctionnelle se rapporte à la forme et à l’intensité des interactions socio-économiques observées de part et d’autre d’une frontière, au travers de l’extension de l’aire métropolitaine, tandis que l’intégration institutionnelle concerne la forme et l’intensité des interactions entre les acteurs politiques éventuellement disposés à collaborer.
Les chercheurs du LISER ont caractérisé trois types de fonctionnement transfrontalier : |
La Région Grand Est et ses voisins : nouvelles dimensions, nouvelles opportunités Séminaire ADEUS 7 novembre 20016 Strasbourg
2-1 Une intégration transfrontalière fonctionnelle par polarisation qui se traduit par une dynamique transfrontalière « d’aspiration »
Pour le Nord-lorraine, l’est de la Province du Luxembourg, l’ouest de la Rhénanie Palatinat et de la Sarre, la proximité immédiate avec le Luxembourg génère une attraction très forte et donc des taux de frontaliers élevés.
Ces territoires font désormais partie de l’aire urbaine fonctionnelle de Luxembourg.
La métropolisation de Luxembourg est telle (développement de l’immobilier de bureau, projet de nouvel hôpital, plateforme logistique de Bettembourg, commerce, Université etc..) qu’elle limite fortement le développement économique de ces territoires (mise à part l’économie présentielle) et les place en situation de quasi-dépendance : alors que ces territoires connaissent un dynamisme démographique indéniable (croissance de la population et des actifs), leur emploi est en baisse. Il est par ailleurs curieux de constater que l’arrondissement d’Arlon connaît exactement la même dynamique que le Nord-lorraine : de tous les territoires des pays voisins, il est le seul à connaître un recul de l’emploi. Et à Trèves, dont la population augmente, il y a un important déficit de main d’œuvre.
2-2 Une situation complexe de multiples interdépendances réciproques porteuse à la fois d’opportunités, de déséquilibres, de vulnérabilités et de risques
3- Une intégration transfrontalière institutionnelle éclatée
- doc « L’existant dans le domaine des orientations stratégiques, des schémas et des instruments de coopération ayant un impact sur les territoires de l’aire métropolitaine de Luxembourg »
La multiplicité des acteurs (en particulier sur le versant lorrain), de leurs visions de la coopération (compensation fiscale ou codéveloppement du côté lorrain, hétérogénéité des prises de position des ministres du Grand Duché sur les relations avec les versants voisins, faible visibilité de la stratégie de coopération transfrontalière du côté de la Wallonie) ainsi que la multiplicité des formes de coopération locale et transfrontalière aux différentes échelles rendent une gouvernance efficiente difficile.
4- Enjeux et orientations prioritaires proposées au débat :
4-1 Deux grands enjeux :
- L’articulation (cohérence complémentarité) entre les différentes échelles d’action (européenne, nationale, grand régionale, régionale, infrarégionale) en référence au cadre du Schéma de Développement Territorial de la Grande Région ;
- L’agencement et la coopération entre acteurs, dans chaque versant et entre chaque versant de la Grande Région.
4-2 Quelques orientations prioritaires
4-2-1 A l’échelle de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques)
- Faire évoluer les articles 15 (prélèvement de l’impôt par le pays de travail) et faire appliquer l’article 18 (imposition des pensions par le pays de résidence) du modèle de convention fiscale.
4-2-2 A l’échelle européenne
- Réduction des différentiels sociaux et fiscaux.
- Répartition plus équitable des recettes fiscales qui découlent du travail frontalier en zones frontalières. récent rapport Lambertz, préconisant une approche commune à l’échelle européenne (adopté par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe le 29 octobre 2019).
- Adoption de l’instrument européen European Cross-Border Mechanism – ECBM relatif à la création d’un mécanisme visant à lever les obstacles juridiques et administratifs dans un contexte transfrontalier.
4-2-3 Aux échelle nationales
- Prendre davantage en compte les problématiques transfrontalières et déconcentrer la diplomatie de proximité.
- Assurer une meilleure transposition de la stratégie transfrontalière de la Grande Région (SDT GR) dans les documents de planification nationaux.
4-2-4 A l’échelle de la Grande Région
- Développer un portage politique fort, lisible et visible du Schéma de Développement Territorial.
- Faire davantage converger les réflexions menées par le Sommet des Exécutifs, le Conseil Economique et Social de la Grande Région et le Conseil Parlementaire Interrégional.
4-2-5 A l’échelle de chaque versant de la Grande Région
- Rendre plus cohérent, lisible et efficace le portage politique par les acteurs concernés (Etat, collectivités), en particulier sur le versant lorrain en veillant à mieux articuler les différentes échelles de relations et coopérations locales et transfrontalières.
- Assurer une meilleure transposition de la stratégie transfrontalière de la Grande Région dans les documents de planification régionaux et supra-communaux.
4-2-6 A l’échelle de l’aire métropolitaine de Luxembourg
- Passer, dans la perspective démographique 2018-2050 que l’on connait à l’échelle de la Grande Région (vieillissement et diminution de la population active dans les territoires voisins du Grand Duché dont la croissance perdure), d’une dynamique d’aspiration (avec les déséquilibres et les risques qu’elle induit) à un développement intégré plus équilibré et véritablement partagé, soutenable tant pour les citoyens que pour l’environnement et favorisant la cohésion sociale et territoriale dans une logique de coresponsabilité du développement du territoire.
- Consolider la coopération partagée entre les Etats concernés et le Grand-Duché : s’inspirer du traité d’Aix la Chapelle avec en particulier la mise en place d’un comité de coopération transfrontalière.
- Passer d’une intégration fonctionnelle à une intégration politique à l’échelle de l’aire métropolitaine de Luxembourg intégrant une partie de la Province de Luxembourg en Wallonie, le Nord lorrain et les territoires frontaliers de Rhénanie Palatinat et de Sarre (retour d’expérience sur le Grand Genève).
- Faire converger les différents moyens financiers (fonds européens INTERREG et part des autres fonds européens – structurels, sectoriels -, budget des états, budget des collectivités) pour financer des projets « d’intérêt métropolitains » à l’échelle de l’aire métropolitaine de Luxembourg incluant la réduction des fragmentations et des ségrégations territoriales, avec une clef de répartition équitable au regard des déséquilibres aujourd’hui constatés (cf. le Grand Genève).